Claire Star Finch-Crache dans ma bouche puis crache dans mon autre bouche par Nathalie Quintane

Les Parutions

29 oct.
2025

Claire Star Finch-Crache dans ma bouche puis crache dans mon autre bouche par Nathalie Quintane

Claire Star Finch-Crache dans ma bouche puis crache dans mon autre bouche

 

 

Ce livre est ambitieux — une reprise du Corps lesbien de Monique Wittig. Etant donnés la notoriété actuelle de Wittig et le livre radicalement seventies qu’est Le corps lesbien (1973 : Artaud/Sade/Guyotat, Révolution encore possible, ambiance générale ad hoc), c’est un challenge comme on dit dans le magazine du même nom. La comparaison entre les deux opus est passionnante, dans la mesure même où elle est, d’une certaine manière, hors de propos. Face ou aux côtés d’une écriture en révolution (je vous recommande le passage où la narratrice-Wittig se transforme en mouche pour explorer le conduit auditif de sa compagne, le tout demeurant dans cette forme de sérieux mythologique constante ou au moins récurrente dans un livre dont l’épaisseur et les heurts poétiques viennent d’une connaissance et d’une fréquentation des littératures de l’antiquité), Crache dans ma bouche est totalement de son époque, c’est-à-dire de la nôtre, à la peine dès qu’il s’agit seulement d’envisager la réforme (cf. ma note sur les Sociographies), y compris chez les poètes (et je ne parle même pas des romanciers). 

 

Là où la langue de Wittig crame en direct, Finch écrit :

 

Je ne veux pas qu’on me trouve intelligent.e ou joli.e et je ne veux l’admiration de personne : je veux que le monde existant et son langage brûlent et je veux brûler avec eux. 

 

Je veux n’est pas je fais

 

Là où Wittig écrivait dans un moment où une partie de la jeunesse se cassait pour vivre autrement, Finch (et nous avec elle) modalisons : 

 

Chaque fois que nous le faisons, il semble que les choses pourraient changer. 

 

Là où Wittig, après Artaud, brûlait des questions, Finch interroge : 

 

Sans amour véritable, pourquoi essayer d’imaginer le lien social nécessaire pour produire la révolte ? A quoi bon ? 

 

Là où Wittig inventait le roman lesbien, Finch et sa compagne

 

Lisent une tonne de romans gay 

 

pour se remettre du cœur à l’ouvrage. 

 

Là où Wittig aussi bien que Beckett n’en avaient rien à foutre du sens, Finch ne cesse de traquer une signification : 

 

Chaque fois que je te retrouve, le monde redémarre et la politique reprend une direction compréhensible. 

 

Qu’on me comprenne : il ne s’agit pas de reprocher à Finch de ne pas être Wittig et à nous-mêmes de ne pas avoir vécu en 73. Nous sommes en 2025 et les rares tentatives de saut hors du poussif ambiant viennent en grande partie de la performance queer, et je suis, évidemment, un peu de mauvaise foi en citant ces passages et non le reste du livre, souvent éblouissant dans ses descriptions de l’exploration des corps s’explorant l’un l’autre, et je devrais causer bien davantage des décalages dans la langue, souvent pleins d’humour (grande nouveauté par rapport au Corps lesbien s’il était besoin de le préciser), produits par ce premier livre de Finch écrit en français (elle est de langue anglaise US), comme ici :

 

Eh bien, si je meurs de cette imbaisance, je vise à produire une vie extra-significative à partir de mes restes voluptueux. 

 

L’espèce de mix entre des statements savants et la plongée physique fait l’unité de ton de ce livre, d’ailleurs — c’est là que ça grince et que ça couine le mieux (For Your Pleasure, Roxy Music, 1973). Bref, un livre qui mérite qu’on le lise et qu’on en parle, toutes orientations sexuelles confondues. 

 

 

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