Marius Loris Rodionoff-La comète de Halley  par Nathalie Quintane

Les Parutions

8 oct.
2025

Marius Loris Rodionoff-La comète de Halley  par Nathalie Quintane

Marius Loris Rodionoff-La comète de Halley 

 

 

Souvent, on pose cette question : que peut la poésie ? 

Encore, on pose cette question : que peut la poésie ? 

On pourrait, par exemple, poser la question : que fait la poésie ? mais sous cette forme, plus précise : que fait la poésie à un pré, et vice versa (Ponge) ? Ou bien : que fait la poésie à la conduite automobile, et vice versa (Picabia) ? Ou encore : que fait la poésie à la révolution, et vice versa (Maïakovski) ? Ou bien : que fait la poésie aux réunions de médiums lyonnais, et vice versa (Hanna) ? Ou : que fait la poésie à la communauté qui a du mal à venir (Hummel), etc, c’est-à-dire ad lib., tant qu’il y aura quelques-uns, quelques-unes, pour acter ces questions — qui ne sont pas vaines. 

Marius Loris pose cette forme de la question : que fait la poésie à l’Histoire ? Il est historien, il connaît de tous les côtés sa matière, il peut vous la retourner tête-bêche vingt fois de suite et lui faire faire des tours et des retours, il l’a prouvé plusieurs fois en performance — les bonnes performances se comptent sur les doigts d’une main si vous avez quatre doigts —, enchaînant à deux cents à l’heure (Picabia) dates et événements liés jusqu’au vertige, un tournis comique — et tragique, est-il besoin de le dire. 

C’est une sorte d’équivalent, ralenti (le livre), mais qui conserve et restitue la rengaine d’un certain discours de l’Histoire sur l’Histoire, que propose La comète de Haley, coupant dans la continuité historique (ça commence à 529-533 pour finir à 2000 en passant par 1264-1269, 1521, 1697-1700 ou 1830), coupant de même dans les énoncés apparemment de manière aléatoire :

 

1421-1428

 

Cet écrivain moraliste

Auteur du Livre des quatre dames

Capturé à Champtoceaux

Le cimetière des Innocents est décoré

D’une horloge astronomique

On achève le Calvaire de l’enclos

En prière devant la Vierge

Les Anglais passent la rive droite de la Loire

Et réalisent une Apocalypse pour le duc de Savoie 

 

Ça se télescope, donc, sans enjambements, sans liant, comme un couperet (celui de la syntaxe, celui de l’Histoire, secoués par l’art de la coupe). Rien de relatif, toutefois : 1788, 1789, 1790, 1791, 1792, 1793, 1794, 1795, sont les seules années à se succéder dans l’ordre, sans trou (avant 1830 et 1848). Les révoltes passent aussi : Ciompi (qui instaurèrent un gouvernement populaire à Florence au XIVe siècle), Lollards, Croquants… Et puis, en 1957 : 

 

Albert Camus reçoit le prix Nobel de littérature

Djamila Bouhired porteuse de bombes du FLN

Est torturée et condamnée à mort (…)

 

« L’Histoire est un cauchemar dont je cherche à m’éveiller » porte le livre en exergue ; une phrase de Joyce. Une sortie du cauchemar, c’est ce que tente ce livre, comme le tentent les performances quand elles sont bonnes — j’y insiste, pour deux raisons : parce qu’il n’y a pas, à ma connaissance, de « critique » des performances (comme il y a des critiques de livres, de films, de spectacles, etc — j’exclus ici les performances en spectacle, c’est autre chose), et puis parce que je viens, à Marseille, d’assister à la performance qu’Esther Ferrer a donnée au CIPM le 4 octobre, une performance qui était, par sa qualité, par sa justesse, par sa saisie de l’époque*, de l’ordre de l’exception. 

 

et par son indifférence à l’archive et à l’enregistrement. A la phrase de Ponge : «  J’ai écrit, cela a été publié, j’ai vécu. », Esther Ferrer ajouterait : « Pas si simple. ».

Retour à la liste des Parutions de sitaudis