Revue Attaques n°4 par Nathalie Quintane
Deux textes justifieraient à eux seuls l’achat de ce numéro 4 de la revue Attaques : d’abord, l’essai passionnant de Arnaud Elfort sur Quelques vandalismes martiniquais. Avançant par questions et hypothèses et nous invitant à suivre pas à pas sa recherche, Elfort déplie avec une infinie patience les différents sens que prennent dans le temps les actes de « dégradation » commis par les militants et activistes martiniquais sur des statues emblématiques (une Joséphine décapitée, point de départ de la recherche, ou un Schoelcher revu et corrigé) ; réappropriées, ces statues ne meurent pas mais sont marquées par les débats et la violence du temps.
Le deuxième texte est une prose visuelle d’une grande force : Kanaky Kolonie : Kolonie und Heimat d’Andréa Fatima-Tolan. Rarement les moyens offerts par l’alliance texte-image auront offert une telle efficacité critique. Alternant images coloniales, phrases simples (« Voici le colon idéal : c’est un mâle, il est blanc, il est souvent français, il peut être européen, allemand par exemple. Il est fier et courageux, etc », cris du cœur (« Pourquoi sommes-nous dans cet état ? ») et humour noir, l’ensemble vaut comme une (très belle) preuve de ce qu’écrit Barbara Meazzi dans un essai à lire plus loin dans la revue, De la poésie visuelle à la poésie visuelle : « Il y aurait, il y a, des poètes pratiquant la poésie visuelle mais ne se revendiquant pas en tant que « poètes visuels » : la différence, à mon avis, serait à chercher plus que dans les matériels utilisés, dans la démarche toujours transgressive et subversive, dans l’intention politique et engagée qui relie cette production contemporaine aux avant-gardes historiques. »
Attaques alterne ainsi textes théoriques et poétiques. Concernant la poésie visuelle, Démosthène Agrafiotis conclut provisoirement : « Dans une perspective historique, la poésie visuelle (…) dans sa tentative de conjuguer parole et image, prépare l’avènement dramatique du monde numérique, où la logique du [0,1] unifiera sur un niveau matériel l’écriture et l’image — un événement dominant et violent du XXIe siècle. La poésie visuelle est ainsi liée à l’élément culturel fondamental du présent et du futur, dans la mesure où elle touche aux lois de la communication sociale et du contrôle politique. «. Les ensembles théoriques-anthologiques sur les poésies visuelles et concrètes (brésilienne) proposent à la fois un résumé des épisodes précédents et une mise à jour — les deux, nécessaires.
Le neuf est abondant, impossible de citer tout ce qui serait à retenir, mais Marguarin Le Louvier, « On a des vies paisibles/Pas des vies de ouf. « , les Faits divers inédits de Marius Loris ou le poème-cul de Sloom Delli, on ne peut pas les rater… (son Coco paraîtra bientôt chez al Dante) : « disons quand mon dos frotte le crépis/autrement dit/quand j’lui r’fais la crêpe/il fait comme si c’était lui qu’était domi alors/que dans l’déni/c’est lui qui encaisse « .
Je recommande aussi chaudement les épidémies de signes actualisées de Joël Hubaut, Ma Desheng et sa relecture du monochrome noir (d’)après Alphonse Allais (« une balle qui s’ennuie/pénètre dans une poitrine au hasard « ), Jalal El Hakmaoui et sa reprise en même temps que liquidation d’une phrase de Félix More, ancien officier des affaires indigènes au Maroc (« J’ai regardé un million de Marocains au moins dans le blanc des yeux «) et les dernières nouvelles (hélas trop brèves et trop rares) de Sylvain Courtoux.
Enfin : fabrication impeccable. Accent mis sur les poésies autres qu’anglo-saxonnes. Parfait.