Ça joue, Antoine Hummel par Nathalie Quintane

Les Parutions

05 févr.
2024

Ça joue, Antoine Hummel par Nathalie Quintane

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Ça joue, Antoine Hummel

En italiques, sous le titre Ça joue, un genre : Fanfare confessionnelle. Alors ? Trompette, tambour, clairon, cor de chasse, accordéon ? Oui mais : confessionnelle, ie. tout en sourdine ? Une fanfare confessionnelle, ça ne se peut pas, et surtout ça ne peut pas. 

 

Pourtant, l’enjeu (p.25) est clair et la volonté vibrante :

 

NOTRE BUT EST DE TRANSFORMER
PAR CE TÉNÉBREUX REPORTAGE
SUR LES LIEUX DE NOTRE PREMIÈRE VIE
LE SYMPTÔME (DE SON TEMPS)
EN TÉMOIN (DE SON ÉPOQUE)

 

C’est-à-dire, au passage, de déposer
« le Monsieur qui tentait de s’installer ».
Déposer le Monsieur, c’est, entre autres, ne pas jouer, ne plus jouer : ne plus participer, ne plus collaborer, ne plus s’impliquer, ne plus en être

 

C’est aussi revenir à la racine : 13 ans, ce moment où le Monsieur qui pointe est « diagnostiqué demi-portion et no-life dès la cour de récré ». Ça part mal donc bien, puisque ce fut la condition pour espérer pouvoir devoir devenir poète (les variations sur pouvoir, devoir, devoir pouvoir et pouvoir devoir donnent lieu dans le livre à des combinaisons qui en vidangent, au sens évier débouché, le sens). 

 

Partant de là, le texte d’Hummel va balancer du lisier sur à peu près toutes nos préfectures, tout en exécutant littéralement de la dentelle, c’est-à-dire un travail sans trame mais scrupuleux, songeur toujours et miné de toutes parts. 

 

Ce n’est pas seulement drôle, ça l’est très :
« Nous sommes un Monsieur.
Que, nos premiers prix miteux de marque Décathlon aux pieds, nous entrions en puant l’alcool dans un magasin de médicaments, ou que, n’ayant pas quitté nos tongs depuis trois semaines, nous allions chercher des articles de chemsex à la cité Bassens, il faut croire que nous sommes porteur — sur le visage ? Dans la démarche ? — de mocassins à glands et d’une sous-doudoune bleu métallisé, car ici comme là-bas on ne nous sert que du Monsieur » (p.23) 

 

Par quel vigoureux mélange chancelant — cette espèce de ping-pong ou de mix infini entre le tout-venant de la langue dite hégémonique (il s’agit de se manager), les restes de stéréotypies philosophiques qui vous remontent en gorge à l’impromptu (la majorité des mondes possibles laisse supposer/ il s’agit de réaliser l’esprit dans le monde, etc), le contemporain récréatif autant qu’assassin (« ma vie accomplie sera une faciale intégrale à la face du monde intégral »), la trouvaille hilarante (« Chacun vient, dans un désordre de pintade au grain, se mettre en rang dans la cour »), les encadrés de manuels (L’essentiel) ou la photo du Manche Balai Bois Naturel avec film plastique imprimé bois)… — cet assemblage parvient-il à gratter toutes les croûtes d’un intime d’extérieur (mais tout intime l’est) tout en poilant si régulièrement son public ? 

 

De temps à autre, le texte s’arrime aux Grands Classiques (tout comme Ducasse refaisait les moralistes) : Jérôme Cardan, premier à avoir voulu tout dire de lui au XVIe siècle, Rousseau bien sûr,  Chateaubriand et Dumont de Monteux dont l’Autopathographie* (1865) fournit à Hummel une manière de « vade mecum stylistique : barrages, coq-à-l’âne, réponses à côté, jeux syllabiques (…) scies verbales (…) énonciation des intentions et des commentaires sur les actes » (p.98).

 

Mais voilà Hummel a connu les années 90 : « Nous avons grandi sous Chirac ET nous avons l’âme romantique », sa mélancolie est par conséquent plus chiraquienne que rousseauiste, plus cul-des-vaches que confessionnelle — mais quand même un peu des deux. Ainsi, tout aurait pu devoir être dit, aussi bien que ça aurait pu ne pas jouer. Puis, il y a le livre, et le livre (le « poème »), ça joue en même temps que ça pas joue. 

 

* titre complet : Testament médical, philosophique et littéraire, destiné non seulement aux médecins et aux hommes de lettres, mais aussi à toutes les personnes éclairées qui souffrent d’une manière occulte

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