Philippe Castellin (1948-2021) par Nathalie Quintane

Les Célébrations

Philippe Castellin (1948-2021) par Nathalie Quintane

  • Partager sur Facebook

 

Je venais d'envoyer La cavalière (P.O.L.) à Philippe… Il y était cité. Une phrase, une seule. La dernière fois que j'étais allée le voir à Ajaccio, il y a six ou sept ans, on avait parlé de 68 et d'après et il m'avait dit que jusqu'en 74 au moins il se levait tous les matins en pensant que la Révolution était pour demain, que ça ne tarderait plus… Dans un mail envoyé le 14 octobre dernier, il revient sur ce moment. Une fois démissionné de l'Education nationale, Philippe était devenu pêcheur de corail en Corse et poète/performeur. Il avait fondé en 1984 le duo Akenaton avec Jean Torregrosa et repris la revue de Julien Blaine, Doc(k)s.

 

 

 

chère nathalie,

 

j'ai reçu ton livre et l'ai lu (trop vite?) -  d'abord je tiens à te remercier de l'envoi. Ensuite, comme tu t'en doutes, je l'ai lu avec en tête plein de souvenirs, d'anecdotes qui lui font écho. Car j'ai fait l'objet, au début de ma carrière de prof, de deux mutations disciplinaires, d'une plainte, d'une manifestation organisée par les parents d'élèves etc. Il faut dire que j'avais 20 ans, que j'étais agrégé, que j'avais été nommé à Lakanal où je commentais le tract du Docteur Carpentier (tiens, tu n'en parles pas me semble-t-il), que je faisais cours dehors, dans le parc et sur la pelouse (je n'avais pas jugé bon d'en avertir l'administration...) et bien d'autres histoires qu'on peut juger pendables, aujourd'hui... De Lakanal je me suis retrouvé à Amiens, au lycée des Otages (!) et là ça n'a pas trainé, d'abord j'ai été accusé de dealer H héro et LSD auprès de mes élèves, c'était faux mais la Proviseure était persuadée du contraire; d'autant qu'à la fin de l'année, mes élèves, une classe de filles, très chouettes, ont jugé bon d'organiser une fête au lycée, se sont pintées, ont mis le souk dans tous les cours... J'étais invité à cette fête mais je ne sais plus pourquoi je n'y suis pas allé, néanmoins on m'a tenu pour responsable et convoqué au commissariat: là tout s'est dégonflé parce que j'avais un alibi en béton; le lendemain je suis allé voir la Proviseure, 120 kgs de graisse et de couenne, et j'ai demandé des explications. La scène se passe dans son bureau, au centre de la cour de récréation, une sorte de cage en verre digne du Panoptique, elle me dit que "je dois apprendre à me couler dans la matrice de l'enseignement" et, peut être à cause de la matrice, les couillons m'ont viré, je suis entré en rage ou plutôt je suis sorti de la cage en verre en claquant si fort la porte que tout s'est écroulé, bingo! - Puis il y a eu plein d'autres histoires mais tu t'en doutes et je ne veux pas t'ennuyer. Là où j'ai tiqué, ou mieux où je me suis interrogé, un peu perplexe, c'est que dans ces années il me semble que le climat général, s'il était à la répression, était aussi à l'audace et à l'utopie, je veux dire que je pensais (je, nous) que nous étions victimes, oui, mais que nous allions l'emporter, à coup sûr (…).

 

PS 1: le premier texte que j'ai publié et là j'étais en terminale, c'est une lettre ouverte au Monde pour défendre Gabrielle Russier