CA Conrad - Le Livre de Frank  par Nathalie Quintane

Les Parutions

18 déc.
2025

CA Conrad - Le Livre de Frank  par Nathalie Quintane

CA Conrad - Le Livre de Frank 

 

De petits contes atroces. Des fables pour enfants sous dictature. C’est dire à quel point Le Livre de Frank, publié une première fois en 2010 aux Etats-Unis, tombe pile poil. Les images, précipitées, appellent des plans — Tim Burton, le Lynch d’Eraserhead, les ados de Gus Van Sant — mais de vieux souvenirs européens tout aussi bien : limericks, Lewis Carroll, et bien plus encore le terrible Struwwelpeter du psychiatre Heinrich Hoffmann, auquel on coupe les pouces parce qu’il n’obéit pas, transformé ainsi par CA Conrad :

 

Frank se coupe deux pouces

 

Il entre 

dans le bureau 

prétentieux du patron 

 

«  Je ne suis plus un primate ! » crie-t-il

« j’appartiens à une autre espèce !  (…)

 

C’est la réussite du livre, cette absorption jusqu’à digestion complète de toute une tradition de livres pour enfants, noyée à répétition dans le cauchemar américain. Et Frank est bien entendu plusieurs dans sa tête, tel un Brian Wilson, l’âme des Beach Boys, barbotant dans son bac à sable après avoir composé les plus belles symphonies pop de l’après-guerre. 

 

« signerez-vous 

mon livre Mr.Poe ? »

demande Frank à la pile d’os

au milieu des pelletées de poussière

 

« mais certainement jeune

homme » répond Frank avec une

autre voix

 

Des images, oui, mais comme canalisées — peu de poèmes dépassent la page et les vers, ou plutôt la prose coupée, sont brefs — en tout cas rien de la diarrhée verbale de certains Beats, et pas grand chose de leur lyrisme non plus :

 

des corbeaux poussèrent aux mains de Frank

 

c’était une enfance difficile

 

pendant le prière du dîner

ses corbeaux battaient

agités par le nom du Seigneur

« FRANK ! RESTE TRANQUILLE ! » braillait Mère

« As-tu lavé tes corbeaux !?

as-tu lavé tes sales corbeaux puants !? »

 

quand Père mourut

on trouva Frank

le chevauchant

ses corbeaux picorant les sept

plombages en or

 

CA Conrad a vraisemblablement lu toute la poésie US, s’en réclame en partie (Dickinson, Bernadette Mayer…) mais ce qu’il a vécu et ce qu’il en a retenu n’ont rien d’académique, il ne trahit rien de son expérience (à tous les sens du terme dans ce livre puisqu’il la métamorphose). Même la grande étiquette Queer qu’il revendique est trop petite pour ce livre, et je ne parle même pas des gros sabots surréalistes - ou bien au sens d’un Maldoror coupé en petits morceaux. 

 

 

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