Sucre en poudre & eau du robinet - Amélie Durand par Nathalie Quintane
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Encore un (très) beau livre publié par RIGA et le centre d’art Le Lait — auxquels on souhaite en conséquence abondance de subventions et aides diverses pour l’exercice 2026. Grand format et série ou suite de photocopies tenues ou soulignées par les doigts, de pieds ou de mains, de la photocopieuse, en l’occurrence Amélie Durand (déjà autrice de l’excellente Grammaire pour cesser d’exister, publié aux éditions du Sabot), qui a collationné pour nous des tranches de manuels situés, méthodes et modes d’emploi : contre l’extinction de voix, pour sauver un livre de l’humidité, mieux sucrer ou arrondir son nez par le maquillage, porter correctement son cabas pour la femme de retour du marché, règles de bienséance chinoises ou bourgeoises françaises, secourisme et poignées de porte, etc, tout à une allure 50’s, même la couverture de la dernière édition du livre de Nadine de Rothschild, Le bonheur de séduire, l’art de réussir, sous-titré le savoir-vivre au XXIe siècle.
Or toutes ces tranches de bienséances sont soigneusement torchonnées par vingt-huit proses courtes d’affrontement, sorte de crise adolescente assez dure pour brutaliser ce qu’il convient de dire et de vivre avec une mère (qui, elle, applique la méthode :
« — Essaye plutôt de porter ton cabas sans avoir l’air d’une salope », dit-elle).
Tout est direct en même temps que tout part en vrille dans une forme d’évidence à la Desnos :
« Quand je lui demande combien je lui ai couté depuis ma naissance, ma mère sort sa calculette. Une heure plus tard, elle tape une dernière fois sur la touche égale avec son gros orteil. On arrive à une somme fixe, mais bien sûr il nous reste quelques détails à régler.
— Dès que tu me dis un mot, ça me coute deux euros, elle ajoute. Sauf que je mesure dix-huit mètres que je n’ai pas de mains, alors forcément l’argent qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ».
D’une phrase normale, dite d’une situation normale, surgit un mot inapproprié, alors on se frotte les yeux et on relit :
« C’est encore le genre de situation où je me coince la lanière dans le lave-vaisselle, et il faut appeler les pompiers ».
Ou, dans En attendant, je me lave régulièrement, cette saillie plus inquiétante :
« Pas de fille plus propre que moi dans tout l’immeuble. Je remplis la baignoire d’eau bouillante et je me laisse tomber dedans comme dans une marmite (…) »
C’est ainsi qu’on lit, heureuse et excitée, l’héritière du Michaux le plus brutal, mais aussi la cousine d’une Stubbe qui, de ce fait, n’a pas disparu (— Tu verras, Sidonie, il y a plusieurs coloris disponibles. est peut-être une allusion au livre paru chez P.O.L il y a une quinzaine d’années : Ma tante Sidonie). Il en aura fallu du temps, finalement, pour que le « surréalisme » s’autonomise et qu’il regagne, loin des clichés, la force de sabotage léguée par Dada.