Anya Nousri, On m’a jeté l’œil  par Nathalie Quintane

Les Parutions

31 août
2025

Anya Nousri, On m’a jeté l’œil  par Nathalie Quintane

Anya Nousri, On m’a jeté l’œil 

Voilà un livre bien délicat dans son propos : On m’a jeté l’œil ; bien délicat pour nous, lectrices et teurs de langue française correcte résidant en France et toujours désireux de lectures exotiques (on s’en défend) : Anya Nousri, de retour en Algérie, décrit dans le détail et parfois dans la langue (arabe ou kabyle) les rites et superstitions de ses tantes :

 

« Excédée, elle décide de monter une fois pour toutes ; en pyjama, elle cogne à la porte et voit Boutayna à quatre pattes de vent un mortier géant. Elle s’acharnait à écraser je ne sais quoi dans ce mentez. Elle nous confie ensuite qu’une poule se promenait dans le couloir. Ma tante lui coupe la parole : Une poule ? Staghfoullah. On utilise le sang et les pattes pour faire du s’hour ! »

 

Le sort, les sorts, c’est le fil rouge, de plain pied, sinon ces trouées que fore la langue kabyle dans le désir d’intégration — car Anya veut toujours en être et son problème (du coup, le nôtre), c’est qu’elle doit en être deux fois, parce qu’en plus d’être kabyle, elle est québécoise : 

 

« Je supplie Allah de défaire mes boucles et de m’offrir une belle chevelure aussi lisse et soyeuse que celle de mon amie Lara. Je l’implore de me donner un accent québécois, de faire de moi une fille comme les autres, mais en même temps une musulmane irréprochable. Ya Rabi, accorde-moi le pardon et l’assimilation. Amin. »

 

Et voilà que le québécois et ses anglicismes viennent à leur tour trouer le texte ! Ce n’est pas le moins troublant : l’exotisme n’est alors plus stable, plus tant là où on le croyait, en navigant il défait le jeu de nos poncifs, de nos attendus, sans jamais céder au comique facile, clins d’œil, sous-entendus destinés… Nousri ne vise jamais UN public, elle se débat dans ses vies, dans ses langues :

 

« T’es don ben fuckée. J’ai lu ton skyblog hier. T’as écrit que tu veux me ressembler. Que t’aimerais être comme moi, comme Josiane, comme Vanessa. C’est weird en esti. »

 

Nousri ne le cache pas : en être au Québec, c’est aussi pouvoir baiser, ce qui n’est pas donné pour une fille comme moi, avec la peau mate, les cheveux secs, et des poils noirs sur les bras.

 

Mais en être, quand on est algérienne/kabyle/québécoise et qu’on écrit, c’est aussi en être en français, ie. dans la langue de la littérature française, celle qui donne les Goncourt et les traductions. Là aussi, Nousri a fait ce qu’il fallait en maintenant ses langues sans traduction, sans notes, nous laissant dans l’incertitude, dans la recherche de ce que cela pourrait bien vouloir dire : non-assimilés. Comme Tupamadre, et parce qu’il s’attaque au nerf de la guerre, la langue, ce livre est une réussite. 

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