Brice Bonfanti-Chants d’Utopie, quatrième cycle par Denis Ferdinande

Les Parutions

30 sept.
2025

Brice Bonfanti-Chants d’Utopie, quatrième cycle par Denis Ferdinande

Brice Bonfanti-Chants d’Utopie, quatrième cycle

 

 

Un lecteur : Des années, cela fera bientôt près d’une décennie — et l’effet de récence, ou d’un lointain tel, selon les verres (optique) — qu’aura été traversé le monde du premier des cycles des Chants d’Utopie. Ce que « monde » dit d’emblée, pas le seul lieu commun qu’inhérent à telles écritures fussent-elle remarquables comme telles (soulignement). Mais que ses lettres, interverties, laissent apparaître le mot « nomade » (anagramme à une lettre près, et lettre même inaugurant l’alphabet latin), disant bien ce qu’il se passe ici, le nomadisme ne s’interdisant pas une terre (Russie où tout commence, nous sommes en 2017) attenante au terrestre. La terrestréité comme l’occasion, l’éveilleuse plutôt de chants, dont s’entend encore la voix de l’auteur à distance, attendu qu’il lui arrive, en à-côté de l’écriture (à moins que l’écriture ne soit l’à-côté[1]), de lire ses chants. Et que cette lecture est comme chantée, hantant jusqu’au cas de la lecture silencieuse, intérieure incantatoire. Voici, donc, qu’il s’agit d’écrire un mot, pas assagi avec le temps, sur le quatrième cycle des Chants d’Utopie, de Brice Bonfanti, le volume parviendra d’ici de seuls jours, n’être qu’attente, de l’explosif supposé, se fiant aux cycles antérieurs. S’il ne parvient pas, c’est petit désastre. Écrire alors, comme s’il était parvenu ? Ce serait : fiction du colis réceptionné ce matin, l’enveloppe déchirée en hâte d’où extraire le volume, aller droit à la première phrase, plutôt même qu’au sommaire, ne vérifiant pas davantage (non bien sûr) s’il y a carte introduite, postale mettons, signée par l’auteur, et contenant un mot écrit à la main, l’attention précieuse. La première phrase, décide-t-elle tout à fait de tout ? Succédée, et il importe de savoir ce qui succède, indéfiniment ce jeu appelé lecture.  

 

S’il est possible de faire le tour, l’énumération des terres parcourues dans les cycles jusqu’au quatrième (il n’est que d’aller aux sommaires, ils renseigneraient s’entend), sachant qu’il en va là du souffle même, il semble inextinguible, jusqu’à ce quatrième en question, aux autres déployées, autres terres. Les bandes tournent accompagnant le mot s’écrivant ici, c’est Brice Bonfanti qui lit ou chante, aussi proche de lire que de chanter, chant monocorde et non pas « lancinant » (péj.), si ce n’est que des lances dans l’impression se propulsent — de l’au-delà ou l’effet (d’exagération ? E pur…[2]).

 

Voici donc qu’il s’agit de lire, que le volume parvient, aux neuf chants de plus d’un livre, vient le premier — péruvien, Chant XXXII, faisant suite, pourquoi ne pas l’indiquer, à un hommage à la maison d’édition en tant qu’hôte des manuscrits initiaux (Sens & Tonka & Cie) : et la première phrase, qui intéressait : « Pour vivre heureuse, l’utopie vit cachée dans son chant — comme dans sa tonka le sens ». L’hommage est d’une page, vertigineuse et comme joycienne, l’énumération faisant tournebouler la langue. Livre 10. « Finie l’attente du grand soir », ce qui se décide est le maintenant même, où se déclenche l’écriture : « Matin, comme demain, c’est maintenant. » Et partant l’envolée du volume.

 

La seconde et peut-être seule première phrase, si tout ne commence qu’ici : « I. Derrière nous, la masse immense, qui difformait le spatiotemps, était dressée tout en restant par son essence : ratatinée, fourre-tout stratifié : gouvernaille, bancaille et patronaille ; industriaille, agronomaille et pharmaceuticaille ; armaille, flicaille ; journalaille, flicurés de gauchaille et droitaille, artisticaille et culturaille. » Ceci, afin d’annoncer la couleur tenez d’il peut être tout dit, en écriture — jusqu’au plus radical —, et cela précisément parce qu’il y a écriture, non qu’anesthésierait ici « l’esthétique », dispositif non distant du poème, plus d’un segment encastré en lui — renforce, au contraire, fait se recouvrer quelque vitalité à qui y entre en contact, vitalité qui saurait, qui allait éparsement se perdre n’y prenant garde (un remontant, et c’est heureux qu’il s’en puisse encore par nos temps). Le travail de l’énumération. L’une des grandes forces d’entre les forces de l’écriture bonfantienne — appellerait un autre travail, de lecture cette fois et considérable, de plus d’une saison gageons, or voici qu’elle contraint ici à l’écriture (comment en rendre compte, donner à se figurer cela ? L’idée seule, et lointaine encore). Soit l’énumération comme scansion, contribuant au rythme et justifiée par, ultérieure, la mise en voix. (Une fois encore : Qu’on aille à tel ou tel de ses enregistrements accessibles sur la Toile, alors s’en modifiera la lecture silencieuse, comme « habitée » à présent).

 

Post-Scriptum : Ou l’inventaire impossible de tout ce qui est manqué dans ce qui précède, du fragmentaire au visuel (spatialisation du mot seul réitéré « doux », p. 106), étendre la liste, autant d’indices en tout cas qu’éclate ici le vieux cadre scriptural pour telles issues au textuel qui aurait pu être le cas mais non, l’issue étant notamment « le poème » comme ce qui l’occasion venue se donne comme presque chambardement formel, quoique maîtrisé, toujours, dans ce quatrième cycle des Chants d’Utopie. « Mon ami ton ami son ami, notre ami votre ami leur ami / aux vivants invisibles pour nous ou pas, visibles pour nous ou pas. / Ami Mazda ! cloue ce qui cloue, cloue tout ce qui cloue tout ; / tue ce qui tue, tue tout ce qui tue tout. » [P. 139, Chant XXXIV].

 

 



[1] L’écriture : l’à-côté quoique condition du chant, n’importe pas davantage, au contraire. L’écriture mise en œuvre (en partitions ?) pour aboutir à un chant. 

[2] « E pur » Ou « Eppur » (« Et pourtant »), cf. la formule bien connue de Galilée.

Le commentaire de sitaudis.fr

L’une & l’Autre, édition / Sens & Tonka & Cie, 2025
216 p.
19,50 €


 

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