Désir autoritaire, Theodor W. Adorno par René Noël

Les Parutions

22 oct.
2025

Désir autoritaire, Theodor W. Adorno par René Noël

  Désir autoritaire, Theodor W. Adorno

Francfort, Septembre

 

Désir autoritaire, écrit en 1960, est une conférence ayant trait à l'analyse de personnalités attachées à l'autorité. Pour combattre l'antisémitisme, 1962, et Le nouvel extrémisme de droite, 1967, sont la seconde et troisième conférence sur le thème du fascisme qu'Adorno communique à un auditoire. La profanation de la synagogue de Cologne, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1959, et les actes antisémites qui lui succèdent, conduisent alors l'Institut pour la formation citoyenne de la Rhénanie-Palatinat à organiser une séance de travail intitulée Autoritarisme et nationalisme à laquelle Max Horkheimer participe également.

Un nationalisme agressif n'est possible que s'il exige de la part des individus un sacrifice - sous les formes les plus diverses -, à commencer, par exemple, par les sacrifices intrinsèques à la nature de la formation militaire et qui, pour finir, représentent un danger immédiat, en cas de guerre, non seulement pour la vie des individus qui y participent, mais aussi pour tout le groupe. (p. 28-29) dit Adorno à son auditoire, ce 4 mai 1960 - la partition de l'Allemagne étant alors un fait acquis tandis que son réarmement inconditionnel, tel qu'il a été acté il y a quelques semaines de cela, n'aurait jamais pu être envisagé quinze ans après la fin de la seconde guerre mondiale.

 

La psychologie des profondeurs n'est pas une fin en soi, une potion magique explique Adorno. Mais elle permet d'observer au plus profond de l'individu ce que celui-ci fait réellement tout en l'occultant vis-à-vis de lui-même, observe-t-il, citant Anna Freud qui nomme ce type de défense contre certains mécanismes pulsionnels hostiles, identification avec l'agresseur. Kafka, auteur de la nouvelle Le Verdict, décrit cette rupture anthropologique où la révolte s'immédiatise, se convertit, à peine exprimée, en obéissance absolue à une autorité qui instrumentalise à sa guise l'intériorité des sujets que ceux-ci leur abandonnent.

 

L'examen freudien - ou lacanien - permet de radiographier chez les sujets répondant volontiers à l'appel des sirènes du fascisme, ce point aveugle où la souffrance causée par la perte d'autonomie inhérente aux sociétés administrées, se résout par un abandon de souveraineté sans retour, synonyme aux yeux de ceux qui s'y livrent inconditionnellement, de liberté ultime. Les préjugés, écrit Adorno en s'appuyant sur la philosophie de Kant, sont indispensables dans la vie quotidienne, par exemple lorsque je traverse la rue à la vue de la couleur du feu distribuant le rythme de la circulation des piétons et des voitures, je suis à même de prévoir les conséquences de ma décision de traverser ou non, selon la couleur dudit feu, jugement qui me permet d'exercer concrètement ma liberté. Par contre, les préjugés des personnalités attachées à l'autorité relèvent de l'irrationnel. Chaque homme réduit à une forme vide sans histoire qu'il suffit de remplir autoritairement avec n'importe quel contenu, sait que questionner revient à désobéir.

 

En lieu et place de s'identifier à autrui, ces idéologues malgré eux veulent forcer ceux qui sont différents d'eux à leur ressembler, quel qu'en soit le prix, observe Adorno, ce qui de fait anéantit toute expérience relevant de l'amour et de la perpétuation de l'espèce humaine. Si bien que la personnalité de ces individus se raidit, observe-t-il, dans un état proche de la paranoïa. Ainsi, les contre-exemples de préjugés expérimentés par ces idéologues, touchant par exemple le peu d' assiduité supposée des français au travail, indique le philosophe, ne remettent à aucun moment en cause leurs croyances aveugles, quelles que soient les données immédiates, objectives de leur propres expériences qui devraient les amener à s'interroger sur la validité de leurs préjugés.

 

Johann Chapoutot, historien et Marie-Andrée Ricard, philosophe, contextualisent les teneurs de cette conférence d'Adorno inspiré par Voltaire écrivant qu'il n'était plus possible de philosopher de la même façon après le tremblement de terre de Lisbonne du premier novembre 1755, le philosophe francfortois adoptant l'impératif catégorique de notre temps consistant à vivre et penser de sorte qu'Auschwitz ne se répète pas. Pour cela la priorité est de comprendre, analyser, décrypter les modes de fonctionnement des agissements, des slogans - le Jargon de l'authenticité, analyse de la langue à vocation totalitaire, étant un moment à part entière de la Dialectique négative précise Adorno - menant par le bout du nez ces croyants, ces croisés de l'ordre totalitaire, l'indignation, les rappels de l'histoire les laissant parfaitement indifférents, obsédés qu'ils sont par l'exercice du pouvoir absolu et ceci, quels que soient les mensonges avérés de leurs représentants.

 

Nul doute que Paul Celan approuve ce bon sens du philosophe qu'il ne manque pas de saluer, à l'occasion. Dans un poème de Soleil de fils traduit et interprété par Jean Bollack *, FRANCFORT, SEPTEMBRE ville - où est né Adorno et où siège l'école de Francfort ... - Derrière, quadrillé de plaintes, s'ouvre le front de Freud, / La larme durcie par le silence au dehors..., - 1965 - Celan lit lui aussi à sa propre façon Freud, humanité à partir de laquelle il décrypte une profondeur inédite, fondatrice de mémoire et d'avenir que sa poésie ne cesse d'objectiver.

 

* Jean Bollack, Celan lit Freud, Savoirs et clinique, Transferts, 2005/1 N° 6

 

 

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