Laurence Skivée, os cuillère par René Noël

Les Parutions

20 janv.
2024

Laurence Skivée, os cuillère par René Noël

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Laurence Skivée, os cuillère

L'œil de personne

 

la paix / parmi les os, ma voix / se précise refus / mille fois / refus, (p.11-12), voix dans le poussier, je transforme la poussière / en énergie (p. 30). Poussière conductrice de mémoire vers les vers d'Henri Michaux traduits par Paul Celan - paix dans les brisements, Fluides, fluides / tout ce qui passe / passe sans s'arrêter / passe, Iniji Ariane plus mince, tous deux à l'enseigne de Martin et de Karl Flinker, celui-ci galeriste et fils du premier, éditeur, Michaux collectionneur de tableaux et de dessins à ses heures, dont quelques-uns de Gisèle Celan-Lestrange - poète et plasticien, auteur du livre, les commencements, dessins d'enfants, essais d'enfant, os cuillère de Laurence Skivée, elle-même plasticienne et poète, pouvant être lu aussi bien qu'un livre d'une mère et son nourrisson, son enfant, face à face, qu'écrivant les souvenirs d'une expérience faite de non-sens, de soliloques contaminant cependant à l'insu de chacun des protagonistes leurs écoutes et leurs sensibilités respectives jusqu'à établir un dialogue, une compréhension mutuelle de leurs personnalités en devenir aussi inédite qu'inattendue.

 

Si les deux premiers vers du poème Tuyau / de solitude (p. 9) sont la condition de possibilité du poème, os exprime alors un plein et cuillère la forme du vide dont les mots exposent toutes les réalités concrètes et abstraites. Il émerge alors un dépôt d'étymons, d'expressions, ses lignes sur la page aussi bien sculptures, installations, que vivier d'usages de mots avec leurs propres jambes et leurs propres épaules. Le mot incarnera dès lors un grand dehors de toutes formes de relations déclinées entre deux personnes par l'énigme du Sphinx, qu'elles marchent à quatre pattes, sur deux ou sur trois jambes, quels que soient leurs âges et leurs liens singuliers.

 

Tuyau / de solitude (p. 9) figurerait dès lors la hauteur, le ton du poème et sa liberté, son altitude zéro, son point vernal. Une silhouette, forme peinte et prête à débrouiller les positions de l'un et l'autre des deux personnes à partir des vers disposés sur la page figurant des sons, des gestes, des regards qui excèdent leurs fonctions attendues et ne répondent pas aux logiques du sens que sont supposées adopter deux personnes à la raison raisonnable, leur compréhension et l'éveil de leurs capacités de dialogue dépendant semble-t-il d'autre chose que de faits énoncés sans détours.

 

Un grand angle que la lecture détaille, saisies dans le moment de notre effacement / on sort de / notre autisme / on s'en éloigne / nous commençons à parler / - vers l'autre (p. 41) où la poésie figure l'invisible et l'inhabituel propre à accoucher de l'en-soi, la psyché duelle, l'optique et l'écho d'une profondeur activant une mémoire inédite interceptés par la pupille, détourne alors le visage et la figure de Narcisse vers des lignées, des lignes de partages formels nouveaux dont s'empare l'œil devenu peu à peu personne.

 

Une double page (p. 12-13) où une forme de symétrie agit, l'agencement, et à un vers près, le nombre de vers identique, examine ce glissement, ce déplacement des fonctions communes prêtées aux sens. le temps / s'équilibre l'œil gauche / l'œil droit / se forme. La disposition des mots sur la page, mano à mano, mots contre mots, édite une relation rugueuse, gage d'une profondeur, dès lors qu'elle participe d'une évolution où rien n'est donné, prévisible. Autant les qualités que les quantités sont à venir.

la cuillère est lancée / jusqu'à devenir autre chose d'anonyme, la poésie, dé en avant, ne lange pas seulement le lieu, écrit Laurence Skivée, mais relève ses fréquences antérieures à sa fixité.

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