Paul Celan, Poèmes par René Noël

Les Parutions

05 juin
2024

Paul Celan, Poèmes par René Noël

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Paul Celan, Poèmes

 

John E. Jackson, auteur de plusieurs études sur la poésie de Paul Celan qu'il a très bien connu (dans La question du moi, un aspect de la modernité poétique européenne ; Paul Celan, Contre-parole et absolu poétique), écrit combien la place de Paul Celan en France aujourd'hui n'a rien de commun avec celle qui était la sienne en 1970 au moment de la disparition du poète, l'aura attachée à son nom tendant à perturber, voire à se substituer à la lecture de sa poésie. Aussi écrit-il dans deux essais encadrant des traductions corrigées de ses poèmes - parues auparavant pour la plupart d'entre elles aux éditions Unes et dans un numéro spécial d'hommages à Paul Celan de La revue de belles lettres - les faits marquants de la vie de Celan tournée vers la poésie qu'il récite et improvise adolescent avec un groupe d'amis, passant des nuits entières à découvrir ensemble des vers venus du monde entier. La traduction d'une lettre à Hans Bender vient en appui du second essai.

 

Paul Celan s'est volontiers déclaré ressortissant de l'Empire autrichien, l'Empire des Habsbourg qui a accordé l'égalité des droits civiques depuis 1867 aux juifs de Bucovine. À l'époque, la province est peuplée de Ruthènes (Ukrainiens), de Roumains, de Juifs, de Polonais allemands, de Hongrois, de Houtzouls, de Slovaques, de Tchèques, d'Arméniens et de Tsiganes., (p. 11) écrit Jackson à propos de la Bucovine où est né, le 23 novembre 1920 à Czernowitz, Paul Antschel, fils de Leo Antschel-Teitler, de formation, technicien du bâtiment courtier en bois de chauffage et de Friederike Schrager, l'hébreu restera longtemps pour l'enfant - qui n'apporta d'abord aucun enthousiasme à son apprentissage - la " langue du père ", c'est-à-dire, une langue, sinon hostile, du moins étrangère à laquelle il ne cessera d'opposer l'amour de l'allemand que sa mère, il vaut de le noter, ne cessait en même temps de valoriser par rapport au yiddish qu'elle considérait comme une langue bâtarde, mais que son fils, qui ne le pratiqua jamais, comprenait néanmoins parfaitement. Sa mère lui fait partager ses lectures des poètes allemands, jouant un rôle crucial dans sa formation intellectuelle aussi bien que la mère de Marcel Proust qui oriente son fils vers l'étude de Ruskin et Venise.

 

Mes parents ont été assassinés par les Allemands. À Krasnopolka sur le Bug. Erich, ah Erich [...] Je n'ai vécu que des humiliations et le vide, un vide. Peut-être pourras-tu rentrer à la maison [...] Je t'embrasse, Erich, / ton vieux / Paul, écrit le premier juillet 1944 Paul Celan à Erich Einhorn de Kiev. Le 18 mars 1944, les troupes russes avaient en effet occupé une seconde fois la Bucovine. Pleines de méfiance à l'endroit des survivants, même des Juifs qu'elles soupçonnaient d'avoir collaboré avec les Roumains et les Allemands (!), elles les contraignirent à nouveau à du travail forcé : Paul dut d'abord charger des chariots de livres puis servir d'aide-médecin dans un hôpital psychiatrique... (p. 24). Paul Éluard et Vélimir Khlebnikov, deux poètes essentiels à ses yeux qu'il a traduits, n'ont-ils pas trouvé refuge dans des hôpitaux psychiatriques, le premier en 1943 en Lozère avec sa femme Nusch, le second dans la région de Kharkov en 1919 ? le premier s'y fait oublier après ses actions de résistance, le second y trouve une chaleur humaine et échappe pour un temps à guerre et la famine.

C'est à cette époque qu'il fit la connaissance de Rose Ausländer, qu'il rencontra, avec Immanuel Weissglas à plusieurs reprises dans la demeure de Chaïm Ginninger et que son amie Ruth Lackner lui présente Alfred Margul-Sperber qui lit avec enthousiasme ses poèmes, Paul Celan est le poète de notre contrée occidentale-orientale que j'attendais d'elle depuis une moitié de vie et qui récompense richement cette attente [...]. Je pense pour ma part que les poèmes de Celan constituent le seul équivalent lyrique à l'œuvre de Kafka (p 31-32). Sa poésie s'annonce déjà créatrice de langue, contre-langue critique des usages antérieurs, depuis ce qui s'est passé entre 1939 et 1945, le poète toujours soucieux des circonstances, des intentions et des expressions écrites du passé et du présent lues à travers les évènements de la seconde guerre mondiale. SE TENIR, dans l'ombre / de la cicatrice dans l'air. Se-tenir-pour-rien-ni-personne / non reconnu, / pour toi / seul Avec tout ce qui y a place, / même sans / langage., écrit-il dans un poème de Tournant de souffle traduit et commenté par l'essayiste.

 

C'est également à cette période où lecteur à Bucarest, entre 1945 et 1947, il vit une période faste où l'amitié et la poésie coïncident, j'ai eu, il y a longtemps, des amis poètes. ... Je ne l'oublierai jamais. J'ai connu - et traduit - un certain nombre de grands poètes français (comme j'ai connu la " fine fleur " des poètes allemands). Certains m'ont accompagné dans des envois et des dédicaces d'une amitié dont je ne dirai que ceci : elle s'est avérée être bien " littéraire " ajoute-t-il dans une lettre écrite en français à Petre Solomon, le 12 septembre 1962, de Paris.

 

Je suis un poète français ! dit-il à l'occasion, ce qui est vrai à plus d'un titre, sa connaissance de la poésie, de la culture et de l'histoire française, dont la Révolution française qu'il admire, sa façon inégalée de faire dialoguer à travers les sens et les sonorités les mots des langues française et allemande aussi bien qu'Ossip Mandelstam qu'il a traduit joue avec les sons et les couleurs des iambes, lui-même grand lecteur de François Villon que Celan met en exergue d'un poème de La rose de personne, UN AIR DE FILOUS ET DE BRIGANDS CHANTÉ A PARIS EMPRÈS PONTOISE PAR PAUL CELAN DE CZERNOWITZ PRÈS DE SADIGORE, participent de la francisation de l'allemand qu'il écrit. John E. Jackson éclaire les quatre derniers recueils de Paul Celan, donnant à lire combien celui-ci a porté loin les capacités de survie et de renouvellement de la poésie de livre en livre depuis Le sable des urnes, Grille de parole et La rose de Personne, recueil où dialoguent les voix des culture juive et grecque. Dialogue qui, après guerre constate Celan, s'est raréfié dans la poésie européenne, pourtant nourrie en abondance jusqu'alors de ces échanges depuis l'antiquité. Et ceci alors que des accusations de plagiat pleuvent sur lui, tandis que l'incompréhension et l'hostilité envers sa poésie en avance sur son temps, grandit à mesure qu'il voit les ennemis d'hier gagner en assurance.

 

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