Michel Diaz, Francis Bacon – le lieu du visage par Élisabeth Beyrie-Soulassol
- Partager sur :
- Partager sur Facebook
- Épingler sur Pinterest

Le recueil de douze poèmes de Michel Diaz commence comme une provocation, reprenant en le déviant – ou en le suivant ? – de sa route biblique, le début de l’Évangile de Jean : « Au commencement n'était pas le Verbe, mais le Visage ». En effet, il s’agit bien de commencer l’aventure poétique par l’étude du lieu du visage, celui de Francis Bacon, qui, dans un autoportrait, se peint tel qu’il se voit de l’intérieur. Visage « Qui, déjà contenait sa fin. Et, entre deux, l'inachevé dans quoi nous cheminons ». Le Visage nous appelle « Mais répondre à l’appel, aller vers l’Autre, son visage, est chemin de neige et de brume, de sable et de boue. Comme venir du sien au nôtre est mêmement chemin de tâtonnement et d'éternelle incertitude. // Et entre deux, l'épreuve capitale du dévoilement » à l’instar du texte de l’Apocalypse de Jean.
C’est par ces premiers mots que le poète nous entraîne à regarder et pénétrer dans le lieu de ce visage et à le suivre dans une sorte de chemin de croix, de déchiffrement de la douleur composé de douze poèmes/stations en prose.
Ce visage « captif de la geôle de ses tourments » est surtout « un couteau planté au cœur de nos questions ». Ce visage de douleur, de lèvres calcinées et fermées, retient l'irrépressible cri, quelque chose à dire, mais on n’entend que du silence. Mais si les lèvres sont fermées, par les brèches ouvertes, l'injonction se fait jour, celle de pénétrer dans le sommeil de notre propre mémoire, de boire aux sources de ce silence malgré les frontières infranchissables « aux dents d’acier », d’entrer dans un monde intérieur apocalyptique, aller jusqu'à l'étouffement.
Puis, le regard nous appelle. Notre humanité est en perpétuelle souffrance. Est-ce « une faute ancienne, une déchéance génétiquement provoquée », « une promesse d'extinction » ? L'homme aurait-il « les yeux remplis de Nuit » ? Ce visage/masque, « noire énigme qui nous tient lieu de nom » est aussi le « juste miroir de nous-mêmes », notre image. Cette « embrasure de parole nue » nous « enjoint de nous tenir debout ». Il existe. Il est là. Comment le toucher, qui est-il ? Qui suis-je ? « Entre nous deux s'étend un si vaste désert de silence et de solitude ! » Mais il ne faut pas laisser le désespoir nous envahir, car il y a des traces, des voix. Pour écouter ce que ce visage veut dire, il faut « quitter le lieu connu. » Est-il « visage du Rien. Ou de tous les visages des Autres, rassemblés en un seul » ? N'est-ce pas le mien ? « perdu et retrouvé. Ou entraperçu seulement…Indéfiniment retrouvé. Et indéfiniment perdu. Et indéfiniment sauvé ». Ce visage est-il une trace humaine ou divine ?
Suivant le poète, « sur l’autel silencieux de l’amour et de la bonté », regardons ce visage au « regard insaisissable » :
qui en nous, déchire et même temps ce qu’il éclaire :
l’insoutenable permission de contempler, entre extase et bonheur, ce Visage qui n’apparaît que dans le plus profond du noir et dans la souveraineté de la plus aveuglante lumière.
Car le chemin vers l'autre n'est que chemin de vie.