Anouk Lejczyk-Copeaux de bois par Jacques Barbaut
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Ce livre, le deuxième d’Anouk Lejczyk, qui fut publié initialement en 2023 aux éditions du Panseur, est repris ces temps dans la collection de poche « J’ai Lu », numéro 14 468. Le volume est façonné avec couverture rempliée accueillant deux dessins sur double page et avis critiques élogieux sur les deux rabats de deuxième et troisième de couv’ — Sud Ouest, Télérama, Libération, exemple : « Anouk Lejczyk envoie du steak avec ce texte très oral et totalement addictif », selon L’Humanité… —, mini extraits incitatifs de comptes rendus publiés après la parution originale, reproduits là en manière de « réclame ».
Dans la lign(é)e (ouvrière) d’À la ligne (sous-titré : « feuillets d’usine ») de Joseph Ponthus, évoqué comme en passant
soit non pas exactement « en vers dits “libres” et (quasi) sans ponctuation »
mais bien davantage — pour la justesse, et tant pis ou tant mieux pour le jeu de mots qu’il permet — en « prose coupée »
Non pas « roman d’apprentissage » mais « carnets d’une apprentie bûcheronne » : ainsi sont sous-titrés — ou « genrés » — ces Copeaux de bois qui sont les notes (de travail) tenues par Anouk Lejczyk qui effectue, en vue de l’obtention d’un brevet professionnel, une formation « Travaux forestiers spécialité bûcheronnage » s’étalant sur une année divisée en quatre saisons et plus d’une centaine de chapitres (de une à cinq pages), chacun chapeauté par un titre : « Taupe là », « Ça fait pas très forêt », « Lunchbox de Proust », « Dupond et Dupont »…
En prime, lors de cette année capitale, Anouk — qui s’apostrophe ainsi dans ces Copeaux, par le jeu restitué des conversations notamment — honore une invitation (lancée aux artistes, ces précaires « qui conçoivent des projets impossibles et nécessaires, qui imaginent des mondes nouveaux ») improbable bien décalée à l’Élysée
l’après-midi je demande à partir cinq minutes plus tôt
j’ai un truc le soir mais j’ose pas leur dire quoi
16h15 je change de godasses
me lave les mains au savon qui décape
coup d’œil au miroir ça ira bien comme ça
[…]
quelques coupes pétillantes plus tard, je me retrouve à faire la fermeture
mais pour l’after je passe tout droit
pas envie de commencer à dépenser ma bourse dans une pinte à dix balles avec une bande de collabos comme moi
et puis faut dormir
demain c’est chantier (48-49)
Elle attrape 30 ans, voit son premier livre publié et présenté en librairies, deale celui-ci ici contre un pot de miel et là contre un sac de noix.
Copeaux de bois provoque multiples sourires et quelques francs rires grâce à la tchatche restituée des formateurs et des collègues qu’elle côtoie, aux souvenirs et anecdotes des anciens ressassés, au bonheur langagier des formules…
le zeugme :
dans le RER du soir je sens une fatigue physique agréable
et un peu le fauve (84)
le subtil décalage :
pendant la pause du midi je bouquine dans le fourgon
Alain ouvre la porte surpris :
Oulah on n’a pas l’habitude ici !
j’avais pourtant choisi Genevoix (87)
apocopes à foison — c’est sans doute le métier qui l’exige : la débrou, la tronço, le conduc’
féminisme enjoué (non surjoué) dans cet univers fantasmé des mâles alpha censément munis de haches et de gros muscles
apparition de nos amies les bêtes : nid de rouges-gorges, mésanges bleues, chevreuils, sangliers, renards — et le lynx capricieux dont on parle beaucoup sans que l’on aperçoive une première oreille
noms latins des essences — Prunus spinosa Rosa canina Rubus fruticosus — et des espèces à retenir en vue de l’examen
l’air du temps économique traînant ses casseroles de sempiternelles restrictions — autre sorte de « coupes », encore — budgétaires
un promeneur nous dit que c’est pas très entretenu par ici
Patrick répond qu’ils passent la débroussailleuse tous les ans mais qu’à deux ouvriers c’est pas assez
Vous savez on était quatorze avant !
Après le risque principal ça reste les incendies
analyse le type
Si les gens apprenaient à pas jeter leurs mégots partout !
Patrick clope au bec : À qui le dites-vous ! (273)
les nouvelles assourdies des guerres et les Rolling Stones parviennent par la radio
stages sur les terrains (Île-de-France, Jura, Centre-Atlantique…) missions confiées propreté château qui fait golf plantations en série et fichage de piquets en terre entretien des caillebotis pour l’accès aux plages abattage élagage arrachage des invasives entretien des mares et des sentiers de grande randonnée grand air du large océan — y piquer une tête
En tout cas c’est un beau métier
celui qu’il aime ça c’est beau
on est dans la nature au moins
on respire de l’air (143)
Je me rends compte n’avoir point encore écrit dans ce billet le mot « arbre » ni ceux de « branche », de « tronc », d’« écorce » ni celui de « sève » ou de « racines ».
Bah alors Jacques qu’est-ce qui te prend ?
Ça doit pourtant pas être si compliqué ton petit boulot de lecteur —