Édith Msika-Sa vie de personne par François Huglo

Les Parutions

2 nov.
2025

Édith Msika-Sa vie de personne par François Huglo

Édith Msika-Sa vie de personne

 

           

            « Fragments biographiques d’une enfant des Trente glorieuses », lit-on en quatrième de couverture. Et pourtant, « ne jamais parler de soi, ne pas écrire de journal, tels sont ses préceptes, que Vita suit à la lettre. Elle méprise les journaux d’écrivain et plus globalement toute forme d’autobiographie ». La quatrième de couverture précise qu’elle « ne veut ni être une femme ni un homme, ni étudier ni travailler ». Ce « ni, ni » nous oriente vers une table rase : doute universel, définition par la négative et négation de toute définition. Sa vie de personne : ça, vide personne ? « Un être sans contours déterminés, exprimé avec furie ». L’écriture est « cet être à la fois en excès, insaisissable et troué, auquel elle peut s’identifier ». Un Cogito dans une âme et dans un corps.

 

            Elle « se sent vacante. Se sent personne plus que personnage ». Une « personne expulsée, solitaire, affamée ». Personnage, mais unique ? « Elle est elle-même le théâtre, elle n’a pas besoin d’une scène riquiqui : le monde est sa scène, elle en est le personnage ». Son « narcissisme naissant » en « devenir personnage » procède « d’une profonde incertitude quant à son être, d’une recherche infinie au miroir, de la différence érigée en absolu ». Elle se veut « forteresse inattaquable ». À quoi bon, à seize ans, redoubler sa seconde ? Elle regarde La cicatrice intérieure de Philippe Garrel « comme l’on peut prendre plaisir à se promener dans le désert ».

 

            Écrivant « des textes sur le rien qu’elle est sauf le langage », Vita « déteste les femmes qui surenchérissent dans leur apparence de femme, déteste le fait d’en être une », mais surenchérit dans cette apparence par désir de théâtre. Ses bottes en skaï sont du cuir « à force de n’en être pas », elle-même ne sait pas « si elle est en cuir ou en skaï ». Son « projet bartelbien de ne pas » cherche « une issue du côté neutre, alias l’individu, celui qui ne peut se diviser sans être détruit ». Le neutre permet d’accéder à des « points de vue non sexués », de brouiller les « identités sexuelles ». Babysitter à seize ans, elle couche « à fond », avec « le protégé et amant du père de l’enfant » comme « avec les garçons du village ». Elle s’envisage « sans permis », dans un « devenir androgyne, fille devant, garçon de dos, petit cul gros seins, pas de hanches, silhouette supposément idéale ». Couchant « avec des hommes plus vieux pour dormir et bénéficier d’un petit déjeuner confiture », elle est amoureuse d’une « silhouette avec laquelle elle aimerait se confondre ». Elle est sans cesse amoureuse « excessivement », mais « qu’est-ce que l’amour » lui semble être « une autre question que le sexe ».

 

            Une équation s’établit très tôt entre partir et vivre. Loin de l’ennui scolaire, « lire dans la vitesse lui permet de s’en aller, de précéder avec les yeux le partir auquel elle aspire dans son équivalence avec le vivre ». Envers et contre l’équation « la vie, le travail, l’argent ». Son « désir d’asexuation, de disparition dans l’écriture », rencontre Edmond Jabès : « Être dans le livre. Figurer dans le livre des questions, en faire partie ». Plus tard, « elle s’identifie au jeune Nietzsche, pense possession jalouse de livres, conservation des -et conversation avec les- livres, comme avec son piano, solitude obligatoire pour ces exercices, tête-à-tête passionné avec elle-même ». Désir de lire Schopenhauer. L’adoration, figure partagée par Lacan et par Barthes, lui permet « de s’extraire provisoirement du devoir d’exister, constituant une sorte de bout du langage, comme le souligne Barthes, à la manière des dernières dunes avant la mer ».

 

            Au bout de la liberté libre, le suicide ? Au bout du désir de vivre, l’instinct de mort ? Il « la travaille en sous-sol », il « l’anime », mais elle évite trois écueils : la prostitution, la drogue, « dure », le maoïsme. Ce « puissant désir de mort » l’a « conduite à un non moins fort désir de savoir ». Elle « y va. Dans la vie ». Vita serre le mors. Dès ses sept ans, « la poupée n’a pas de plan, pas d’articulations : Vita les détruit, puis la noie comme on noie le poisson, dans un discours sans début ni fin » On pense aux poupées des féticheurs. L’écriture, les livres : nouveaux fétiches ? Objets d’adoration, menant au « bout du langage », le frôlant comme l’orteil frôle la mer ? Ce livre-ci pourrait porter d’autres titres : Les chemins de la liberté, L’étrangère, ou même, paradoxalement et plus charnellement que chez Flaubert, avec force guillemets et fleurant fort les seventies, L’éducation sentimentale.

 

 

 

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