Artur Dron - Nous étions là par Vianney Lacombe
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Artur Dron est un poète et soldat ukrainien né le 31 décembre 2000. Il a reçu une formation de journalisme et s’est engagé dans l’armée ukrainienne au début de l’invasion russe. Blessé par des éclats d’obus, il a été démobilisé en juillet 2025 en tant que vétéran et invalide de guerre. Nous étions là, son deuxième recueil de poèmes a été publié en 2023.
« après l’invasion massive, j’ai cessé d’écrire(…) Mais j’avais tort. J’avais juste besoin de temps, parce qu’on ne peut pas parler de la vie d’aujourd’hui dans l’ancienne langue. Il fallait en trouver une nouvelle. (p.97) » Nous étions là parle de cette vie nouvelle à traduire dans une autre langue : celle de la fraternité qui unit ces hommes devant la mort. Tous ceux dont nous parle ce recueil ont quitté leur famille pour aller au front et en ont trouvé une autre qui est la seule à pouvoir comprendre ce qu’ils ressentent, les dangers affrontés, la mort qui vide les plus proches de leur sang, qui en fait des orphelins, sans emphase, dans une langue simple, remplie du manque laissé par les morts, de l’espoir de rester vivant et du remords de l’être encore, tandis que les camarades meurent, mais cette langue simple parle justement de ce que personne ne veut regarder, mais qu’ils ne cessent de voir, alors qu’il est encore trop tôt pour eux et trop tard pour les morts, et cette langue remplie de termes militaires, chaussures, gants, gilets pare-balles, casques en kevlar, est aussi une langue de rage, de résistance à l’envahisseur, parce que :
Ces jours demeureront quelque part. Ces
noms proférés ne disparaîtront pas.
Nous nous retrouverons à la fin.
Sur le seuil.
Quelqu’un passera sous ton balcon la nuit,
A toute vitesse, avec fracas.
Après ma mort je veux devenir courant électrique,
Pour éclairer ta maison.
Je veux briller sur tes t-shirts et tes jeans froissés,
dans la cour sous la pluie.
Être la lumière dans la salle de bains.
Devenir lampe de chevet. Lanterne. » (p.74)
Les poèmes de Nous étions là sont écrits avec des commandants, avec des hommes de troupe, avec des noms donnés par les mères à leurs fils, avec des partisans, des vivants et des morts qui sont là parce qu’ils sont chez eux, parce que l’Ukraine est leur terre :
Pourquoi viennent-ils se pointer chez nous ?
Pourquoi font-ils tout ça ?
Ne comprennent-ils pas
que ça ne se passera pas
comme ça ?
Nous ne les laisserons pas faire. (p.45)
Les tankistes
- Camel ! Camel ! crie le tankiste
au commandant
(…)
- Camel ! crie-t-il
Comme seul un tankiste vivant
Peut héler un mort » (p.28)
Romko
Il était le seul à avoir le droit de s’approcher
du barbecue dans la cour
(…)
C’est toujours ainsi que cela se passait quand nous revenions
du champ de bataille.
Ce soir-là, notre chef de peloton
nettoyait son sac à dos en répétant :
« Tout est couvert du sang de Romko. Tout est couvert de son sang » (p.26)