Ivar Ch’Vavar - Filles bleues (2) par Pierre Gondran dit Remoux

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9 déc.
2025

Ivar Ch’Vavar - Filles bleues (2) par Pierre Gondran dit Remoux

Ivar Ch’Vavar - Filles bleues (2)

 

Il est de règle de donner un titre à un recueil. Le texte se trouve alors – croit-on – condensé en quelques mots. Cet effet de condensation a dû en coûter à Ivar Ch’Vavar car tout est en expansion dans Filles bleues : le bleu s’étend, tache, envahit. Il irradie. Sur les filles, donc (« Ton hâle est presque bleu »). Sur le soleil. Sur la mer. Sur le sable.

La mer est d’un bleu profond, bleu de mer.
Le sable épais, le sable sourd et crissant,
le sable souple, bleu d’une certaine manière.

Sur le ciel même :

Le bleu du ciel envahissait le bleu du
Ciel —.

Jusqu’au pigment de la couverture de ce recueil rassemblant les poèmes que l’auteur a consacrés à la plage de Berck, « la plage du monde ».

Sans doute y a-t-il eu, à l’origine, un bleu primitif qui frappa la rétine du jeune enfant au bord de la Manche, un Urblau ! (« Le bleu s’est mis à grandir sur le petit homme que je suis. ») Puis ce bleu est devenu substance poétique, éther où s’expand l’onde du réel, le réel de la plage de Berck, punctum remotum d’où il rayonne à travers le monde/l’écriture d’Ivar Ch’Vavar. Et ce bleu traverse les corps, car décrire le flot centrifuge du réel c’est d’abord se laisser envahir par lui, réfuter l’apparente discontinuité entre la chose et la chair. À l’échelle atomique, c’est une évidence ; mais dans le monde des corps individués, il s’agit d’une telle contre-intuition que seul le travail poétique peut nous éveiller à cet envahissement, ce surgissement.

                                                                     […] Devant l’éten
due sidérante du bleu, qui bouge et claque derrière
toi, ondule, ondule aussi, toi, ondule aussi, Lucie, si.

Travail du poème (éditions des Vanneaux, 2011), travail sans fin, redites, reprises, reconstruction, Échafaudages dans les bois (Lurlure/Le corridor bleu, 2022) jamais démontés, à plusieurs mains (celles des camarades, celles des autres soi-même — Ivar et ses cent hétéronymes qui, surtout, portent chacun et chacune une hétéro-écriture). Au cœur de Filles bleues, on lit le magnifique poème « Sur la plage de Berck » décliné en six versions successives écrites par Évelyne « Salope » Nourtier (plus une par Ivar).

C’est ainsi que le bleu tisse l’armure de toutes les couleurs, de toutes les ombres, de toutes les odeurs, de toutes les sueurs.

                     […] À l’angle des cabines de
plage l’urine accroupie bleuit parmi les pelures aveuglantes
d’oranges. C’est l’ombre qui est bleue le
sable est bleu d’ombre / ça pue la pisse.

 

                                                        […] Et je suis sous
du ciel un losange bleu presque noir. — Bleu, bleu, bleu…
jusque noir !

 

Je suis descendue sur la
                                plage, le ciel était presque noir à force
                                                                                                     d’être bleu, le soleil,
lui, était bleu de Prusse mais brillait. […]

 

Bleu de Prusse qui, dilué dans l’huile, révèle à l’ajusteur les défauts de planéité de sa pièce. Tel est le « travail d’usinage » (Richard Blin) du poème justifié, à la coupe parfaite, au fer à gauche, au fer à droite, étai paradoxalement révélateur, quand le mot sectionné est écartelé entre deux lignes, des débordements de l’esprit et de la langue, des frontières mouvantes des choses et des corps.

Ajuste à nos enjambées ton pas ; il ne faut pas rester derrière ; ou l’on
N’y arrivera pas. Je veux vous mener à la mer ; et de là jusques au tré
Pas… […]

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