Yoann Thommerel-Manger low cost par Cyrille Martinez

Les Parutions

11 oct.
2025

Yoann Thommerel-Manger low cost par Cyrille Martinez

Yoann Thommerel-Manger low cost

 

 

Enfin un livre de poésie qui sert à quelque chose. Je veux dire : un texte poétique qui n’appelle pas une longue et méticuleuse quête herméneutique pour que soit au bout du compte dévoilé le sens profond subtilement caché derrière le sens manifeste, mais qui ait aussi une valeur d’usage. Il n’y a qu’une façon de dire qu’on est pauvre, et dans la merde : au premier degré. Attaquer de front la misère sociale, manger low cost, écrire low cost. Je me souviens de la remarque d’une amie après la lecture d’Argent (Christophe Hanna) : « je ne pensais pas que les poètes étaient si pauvres ! » Dans un précédent livre (Ecrire un avis, Zéro2 éditions, 2024), le poète Thommerel exprimait son plaisir d’aller au restaurant de manière « exagérée ». S’accorder un plaisir qui lui fut refusé dans sa jeunesse car « grandi dans une famille de quatre enfants avec une mère qui faisait les courses à la calculette pour être sûre de rentrer dans un budget serré.» Quittant un emploi salarié pour « écrire de la poésie à plein temps », le poète voit ses revenus chuter, adieu les restaurants. Comment manger pour presque rien ou rien du tout ? Que mange-t-on quand on est pauvre ? Les Mange-pas-cher ne manquent pas en Seine-Saint-Denis (comme ailleurs) où vit le poète, qui mène l’enquête au gré des rencontres fortuites ou d’invitations. Manger low cost est à la fois livre de recettes, manuel de survie et poésie. Des pauvres (nouveaux ou anciens) - une influence food et sa meilleure amie, un survivaliste, un frigoriste intérimaire, une poète et traductrice, des étudiant.e.s, un cuisinier à la rue, … - livrent les recettes de la Hess. « La Hess ? C’est quand chez toi y a tellement rien dans le frigo que même les prisonniers mangent mieux. Ou si tu préfères, des fois c’est tellement la Hess que t’as même pas de frigo. » Couscous de la Hess : semoule, eau, sel.  La Hess à la japonaise : 5 fleurs de cerisier japonais, 1 verre de vinaigre, riz. Le repas de la Hess complet : blanc de dinde en tranches avec sucre en poudre. La Hess classique :  tisane du jeûne ou sandwiche au pain. Il y aussi une étudiante freegan qui explique comment collecter les produits invendus et périmés. Une femme en attente de jugement nous dit comment préparer une pizza en prison. On apprend comment cuisiner les fanes. Comment cuisiner un niglo (hérisson). Comment manger directement dans un supermarché. L’art de se gaver à l’œil dans les vernissages. Les règles d’or pour voler sans stress au Monoprix. De quelle manière les animaux de la ménagerie du Jardin des plantes furent cuisinés en 1870 lors du siège de Paris par la Prusse (...). Thommerel porte attention aux recettes elles-mêmes autant qu’aux contextes de leurs élaborations. Diversité des recettes et des manières de les dire. Et surtout – grande force de ce grand livre - des langues magnifiquement préservées. Ecoutons Marie, 66 ans, institutrice à la retraite.

 

« Préparer un bon plat, c’est la survie. C’est important en temps de crise, un bon plat, c’est ce qui vous tient. Ça devient presque sacré. C’est presque religieux, parce que ça tient à la survie.

 

Quand tu prépares un bon plat, tu te bats encore. »

 

 

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