La Sécurité des personnes et des biens de Manuel Joseph et Myr Muratet par Cyrille Martinez

Les Parutions

11 févr.
2011

La Sécurité des personnes et des biens de Manuel Joseph et Myr Muratet par Cyrille Martinez

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Autant annoncer la couleur tout de suite, La sécurité des personnes et des biens est un livre angoissé. En ce sens il tombe à pic. Pour ceux qui n'auraient pas fait gaffe, c'est l'angoisse en France aujourd'hui, et si l'angoisse du livre frappe juste c'est parce qu'elle n'est pas un effet artistique mais réel : fermez le livre et la vie quotidienne vous renverra un sentiment très proche de celui procuré par cette lecture.

Au cœur du livre, le journal hebdomadaire d'un certain Monsieur J. propose un bon corpus des mots terrorisant : réadaptation, dépressions, psychologue, banque, badge magnétique, bracelet électronique [... ] - le tout coiffé par le plus terrifiant d'entre tous : sécurité. C'est-à-dire que le texte décrit un stade où l'angoisse échappe aux questionnements abstraits sur le sens de la vie ou que sais-je, pour se focaliser sur les objets et les fonctions. Bien vu. Le badge électronique n'est pas facteur de névrose, il est la névrose même. Bref ce Monsieur J. ne va pas très fort, c'est le moins qu'on puisse dire. Il est en « phase de réadaptation ». Crispé sur sa vie domestique (un bracelet électronique expliquera la nécessité de restreindre son périmètre), il vit dans un environnement neuf qui, en dépit de son équipement, semble impropre à le recevoir, lui. Qui est le soi du chez soi ? qui est ce moi qui vit chez moi ? sont les questions que l'on pourra se poser en lisant ce journal. De part et d'autre du texte des photographies offrent des portraits, des paysages et des situations pris à Mulhouse et Paris, et plutôt en banlieue, et plutôt dans l'espace public. Elles donnent d'abord l'impression d'un désœuvrement général touchant les lieux, les hommes, les objets. Mais elles disent également que si regarder la misère est terrible, ce n'est pas pire que sa disparition. Quand les noms et prénoms des sans ressources pris en photo (p. 87,91,93 et 101) sont dans la légende suivis d'une croix, il ne fait plus guère de doute que c'est la mort qui sous-tend le « drame social ». Il y a une continuité entre la lecture de ce livre et la vie de tous les jours en ville : nous-mêmes sommes pris dans un dispositif d'enchâssement entre un chez nous où l'on se cherche et un espace public troué d'épisodes tragiques.
Et l'art dans tout ça ? On pense à une phrase de je ne sais plus quel artiste (peut-être Bruno Serralongue ?) qui expliquait sa démarche de la sorte : « Le matin, je lis les journaux. L'après-midi, je fais de l'art. La société est responsable ». On signe avec le coude.
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