L'étrangère, N° 62 par René Noël

Les Parutions

31 juil.
2025

L'étrangère, N° 62 par René Noël

L'étrangère, N° 62

Polemos

 

L'étrangère publie dans cette livraison des poèmes et des essais sous le signe de l'actuel. dans des artifices du réel, c'est la singularité des êtres qui se trouve délégitimée. écrit Pierre-Yves Soucy. Aucune immédiateté ne tient si l'homme abandonne au profit de ses outils le pouvoir d'imitation par la création que ceux-ci sont incapables d'exercer. Fêtes de la mémoire, la poésie expose les mondes de l'inconnu de notre temps. L'anatomie du réel prend langue avec l'invisible et les régions au-delà des confins de l'immémorial, les conflits du mythe et de l'histoire répandus en toutes matières concrètes et abstraites fertilisent la parole.

 

La poésie de Laura Tirandaz tranche l'arbre de la connaissance et la hauteur imperméables à toutes subtilités des tours et détours de la matière, indifférentes aux petits pois hypoglycémiques glissés sous le manteau terrestre et prises par le jeu d'une violence hypnotique qu'elles répandent. Violence que ces poèmes nomment non pour l'exorciser, mais pour l'exposer aux printemps terrestres de la parole. nous esquivons les regards du soleil-procureur. Ses vers étendent l'or, la fertilité des vergers, des fruits terrestres, aux constellations. Puissance du tronc qui se sépare / pour avaler deux fois le ciel.

 

Athlète de l'image, Francis Bacon remonte des profondeurs sous-marines et des cavernes les sources vives des peintures figurant les luttes des hoplites, les silhouettes en action des combattants de Sparte, d'Athènes et des mosaïques gréco-romaines, écrit Philippe Agostini. Via Courbet et Nadar, le peintre et essayiste décrypte l'horizon des transformations de l'image au cours des siècles antérieurs. Soit des variations et des gros plans inattendus du logos, le polemos héraclitéen trop souvent réduit à un art de la guerre sommaire, autosuffisant, innervant les sociétés humaines d'une manière machinale, quand il en va de la dialectique, de la raison et de son contraire, génératrice du mouvement, du devenir, de l'espace et du temps.

 

Les phrases courtes de Marc Blanchet cernent le monde givarisé, sommé de cesser sur le champ de feindre le mouvement. Cessons de composer avec le vide. L'âge d'acéphale et la négativité en tête-à-tête avec une positivité aliénée n'auraient-ils pas à leur insu contribué à mystifier l'expérience, à forcener, forclore le réel ? Ne serions-nous pas enfermés dehors * à l'image de Gösta de Ville portuaire d'Ingmar Bergman qui lève la tête et se voit dans une cour intérieure d'immeuble libre d'aller où il veut, un ciel fixe, ironie de l'histoire à l'heure de la relativité générale, nous contemple, toutes voies liant les astres entre eux étant indéchiffrables.

 

la règle du jeu la, dernière case. de Bastien Fery, poète rémois, se souvient-elle du Grand jeu de Roger Gilbert-Lecomte et de René Daumal ? À l'amnésie, répondre par le littéral, face au monde sans faille, sans portes ni fenêtres, recourir au système des Béotiens. Suscite, sa suffocation incompréhensible, béat devant le trop de l'air. Les raccords entre les préhistoires des espèces antérieures et le monde rescapé de notre déluge actuel se font à travers les reconnaissances des couleurs fondamentales, données communes incompressibles de toutes les ères passées en devenir.

 

Venir, revenir, François Lallier décrypte la persévérance de Pierre-Jean Jouve aux prises avec la parole, le signe, et son incarnation. L'actuel aux yeux du poète tient dans la réalisation des temps ici-bas. L'éros est cette énigme, jeu de tous les doutes et des certitudes, révélateur et synonyme de poésie qui acte les noces de l'instant et de l'éternité, objectivise les métamorphoses de Yanick, jeune femme prostituée qu'il a renconrée un soir, qui occupe son esprit, d'une façon singulière. François Lallier décrit l'importance de la musique aux yeux de Jouve auteur de Wozzeck ou le nouvel opéra, Dédié à l'esprit d'Alban Berg bien que dans le livre on voie mal ... quel est cet " esprit ".

 

Styx,1902, est le premier livre d'Else Lasker-Schüler, 1869-1945, dont des extraits sont ici traduits par Guillaume Deswarte - une traduction intégrale de ce livre par Denis Toulouse a été publiée récemment aux éditions la Barque. Son art poétique est proche de celui de Rose Ausländer, 1901-1988, la magie simple des contes hassidiques étant originalement, librement interprétée par l'imagination des deux poètes. Toutes deux s'engouffrent dans les interstices de liberté de leur temps, la prennent à bras le corps et accouchent de deux visions du monde singulières, toutes deux forcées à l'exil par l'arrivée au pouvoir des nationaux socialistes en Allemagne et bientôt en Bucovine. Guillaume Deswarte fait suivre ses traductions d'un essai qui définit la position d'Else Lasker-Schüler et l'importance de sa poésie durant la République de Weimar et pour la culture germanophone du siècle précédent.

 

* Solal Rabinovitch, La forclusion, Enfermés dehors, Éditions érès, 1998

 

 

 

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