Terre : un rapport, de Victor Martinez par Jérôme Prouvost

Les Parutions

18 sept.
2025

Terre : un rapport, de Victor Martinez par Jérôme Prouvost

Terre : un rapport, de Victor Martinez

 

 

Le livre publié aux éditions Pariah, Terre : un rapport, s’inscrit dans une lignée qu’on pourrait dire géologique de la poésie française : celle qui, de du Bouchet à Dupin, aura placé la langue dans un rapport à la matière, au sol, au souffle, à l’écart du lyrisme ou du formalisme. Chez V. Martinez, cette filiation se traduit par une tension redoublée : là où du Bouchet arpentait le blanc de la page et où Dupin fouillait la déliaison violente des signes, l'auteur compose une langue de fracture et d’attaque, où le « rapport » n’est jamais donné mais sans cesse à produire, comme une secousse.

L’ouvrage, divisé en blocs denses (Terre : un rapportEntre ce que tu vois et ce que tu peux direLe livre des dates), déplace l’écriture poétique du côté d’une interrogation sur la possibilité de dire l’expérience du sol, de la mort et du temps. Ainsi, « une intégrale ne dit pas, se parcourt » (p. 17), et c’est tout le projet : écrire une traversée où l’énoncé se heurte à ce qu’il ne peut contenir, où chaque phrase se déploie comme une faille. Plus loin, la voix affirme : « De la déliaison et de la désunion des traits de l’accident de surface nommée terre se produit un appui nommé sol » (p. 21), rappelant que ce qui fonde n’est jamais cohérent mais toujours accidenté.

La singularité du livre dans le domaine contemporain tient à cette position exigeante : il ne s’agit pas d’aménager un espace poétique reconnaissable, mais de tenir le langage au point d’énervure entre silence, cri et abstraction. En cela, il s’inscrit dans une actualité politique explicite : Gaza, Souleymanieh, Ciudad Juárez, Boston apparaissent comme autant de foyers de violence où l’histoire mondiale vient frapper les corps. La voix note : « Une date finit par exploser dans un corps » (p. 39), donnant à entendre que la langue n’est pas un simple commentaire, mais l’onde d’une histoire violente. La poésie se fait document, mais document fissuré, creusant l’irreprésentable.

Les éditions Pariah, qui accueillent ce texte, affirment une orientation particulière dans le paysage littéraire : publier des ouvrages où poétique et politique ne sont pas deux registres superposés mais une seule et même nécessité d’écriture.

Le commentaire de sitaudis.fr

Pariah, 2023
64 p.
14 €


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