Quand la ville se tait de Patrick Drevet par Nathalie Quintane

Les Parutions

14 déc.
2020

Quand la ville se tait de Patrick Drevet par Nathalie Quintane

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Quand la ville se tait de Patrick Drevet

 

 

Quand on aura oublié la maladie, on se souviendra encore du confinement : c'est l'une des remarques, ou l'un des constats, de cette chronique de Patrick Devret, qui en compte beaucoup — l'une des plus justes. Les confinements sont en train de dévitaliser une bonne partie de la population ; qu'on ait adopté une forme de déni (je travaille/ça n'a pas changé grand chose pour moi ; y a plus grave/on va pas se plaindre/tant qu'on a la santé, etc), que cela nous enrage ou nous achève, la façon dont nous sommes harnachés depuis dix mois, à pouvoir sortir de telle à telle heure mais pas de telle à telle, à devoir penser à son papier qu'on l'ait ou qu'on ne l'ait volontairement pas, à sempiternellement tripoter son masque au-dessus ou en dessous du nez, comme des foules d'Haddocks insomniaques à ne plus savoir s'il faut mettre sa barbe au-dessus ou en dessous des couvertures, à se dire qu'on n'écoutera pas, ce soir, encore, l'annonce du Castex et à s'entendre demander ce qu'il a dit quand même… 

Quand la ville se tait décrit, donc, ce qui nous est arrivé de mars à juin 2020 en lui donnant sa pleine dimension politique : en quoi ce moment sidérant a permis une accélération de ce qui déjà s'annonçait et s'était mis en place : une autre phase — une phase de plus – du capitalisme ; soit l'accomplissement des sociétés de contrôle « désormais là, armées de pied en cap et occupant toute la place pour longtemps dans un fonctionnement déroutant de commandements « à court terme et à rotation rapide » (Deleuze). L'incohérence plombante devenant ainsi un des ressorts de la nouvelle gouvernementalité. » Au moment même où beaucoup s'extasiaient sur des biches entrées dans les centres-villes et la possibilité enfin touchée d'un néo-libéralisme en phase terminale, Drevet assène : « Penser que les gouvernants chinois relèguent leur industrie et leur marché au nom de la « santé » est une galéjade. (…) Dire que le capitalisme a sombré est d'une grande bêtise (…) La reconfiguration du capitalisme ne va pas se penser ni se programmer après mais pendant le confinement et ses suites. Maintenant. » Et, citant Snowden : « Nous sommes en train de bâtir l'architecture de l'oppression. »

Les pages les plus désespérantes de ce livre où la désolation domine sont celles qui reviennent sur le sort réservé aux pensionnaires des EHPAD. Drevet rappelle qu'en théorie, et légalement, ils « ont le droit d'aller et venir librement », mais que le code qui les y autorise n'est jamais appliqué (un grand classique de l'administration française dès qu'il s'agit de populations " à surveiller ", quelle que soit la raison de cette surveillance). Le confinement aura au moins levé un dernier voile sur ces établissements où les gens « ne sont plus personne, qu'une source de revenus » et dont on pourra dire : « Ils ont connu la guerre, ils sont morts par manque d'humanité lors d'une épidémie.» 

La limite de ce constat, de tout constat peut-être, l'auteur la rappelle : « le dire et le savoir ne donne aucune force. » En somme, ce livre nous rend lucide mais nous donne-t-il de la force ? Si, vraiment, et comme le rapporte un sondage, « 96 % des Français approuvent le confinement », si « ceux qui se promènent avec leur petit papier ont l'air satisfait, incapables d'imaginer qu'une énorme machine s'est déclenchée, qui va broyer ce qui les faisait vivre », si nous avons « l'imagination de la maladie mais pas l'imagination de la politique qui engendre son traitement totalitaire » (ce que ce livre, qui a justement « l'imagination de la politique », contredit d'ailleurs), si tout est si sûr, alors en effet il n'y a plus qu'à aller se coucher. La sortie brièvement évoquée (« La guerre qui vient est donc celle-là : s'opposer, s'arracher à tout contrôle (…) Simplement pour respirer comme respirent les vagues de la mer, la forêt, les danses des corps (…) ») ne dit rien à proprement parler et (parce qu'elle ?) n'est que pauvrement poétique. Le défilé des choses vues par Julien Coupat dans son texte de clôture, énoncés courts et anaphore (« Nous avons vu/Nous avons entendu ») claque formellement davantage. Il y précise par exemple que « la notion de « distance sociale » [née des émeutes raciales de Chicago en 1919], a été « conçue dans l'Amérique des années 1920 pour quantifier l'hostilité des Blancs envers les Noirs.»

 

 

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