Nathalie Quintane, Chemoule, un chat français par Marion Honnoré
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Il y a des tas de gens très bien au croisement de la littérature, de l’anthropologie, de la philosophie et de l’écologie qui nous invitent à repenser nos rapports avec les animaux et ce qu’il est désormais convenu d’appeler le vivant.
Bon.
Eh bien Chemoule, un chat français, ce n’est pas ça.
Chemoule est l’histoire d’un chat
français
un chat qui louche
un chat qui dort
un chat qui parle
un chat qui vit.
À la base moi je suis plutôt chien. Encore que l’opposition chien/chat relève d’une dichotomie inutile. Comme beaucoup d’autres. Comme beaucoup de choses en fait. Et c’est peut-être ça, l’enseignement de Chemoule. Nous apprendre que l’important n’est pas ce que l’on croit, et encore moins ce que l’on fait, mais simplement ce que l’on vit – à condition toutefois de respecter l’orthographe.
Chemoule est un chat
français
très à cheval sur la grammaire.
Chemoule est un chat
français
qui aurait pu s’appeler Poniatowski mais qu’a eu chaud aux poils
vous imaginez l’affaire ???
Chemoule mâle serait Michel Poniatowski — on l’avait oublié celui-là, son goût pour les colons et pour le bruit des bottes, qui se souvient de Poniatowski ?, il a la tête de l’UDF, il est l’incarnation de l’UDF, mou dehors et dur dedans, cette droite que certains semblent regretter aujourd’hui sans même voir qu’elle nous conduit précisément là où nous sommes, à l’aube d’une autre droite qui a une autre tête.
Aussi français qu’il soit le chat ne pourra pas s’appeler Poniatowski parce qu’en fait le chat est… une chatte.
De l’intérêt de la trans-identité chez les félins, aussi.
Texte non-texte, poème ou pas, accompagné des dessins de Stephen Loye qui font irruption quand ils veulent, subrepticement, délicatement, chattement,
texte mélange, traversé de ruminations, ronronnements, soupires et petits noms,
chomoulinettechemoulettetoutinettetoutinechouchounepoupounepoupettemapoupinemacoucounevouquinecouquine
(extrait)
Chemoule doit se lire allongé-e.
Écrire la vie d’un chat nécessite de se mettre à hauteur de chat, de rapetisser pour se grandir, s’étirer, se tourner, s’enrouler, errer,
J’ai traversé le grillage, je me balade chez les voisins, je me tortille sous le porche, je m’étale et me retourne plusieurs fois près de la piscine ça pue le chlore, je me gratte le dos et la mâchoire contre un tronc et ensuite je pisse, voilà, il est temps de rentrer chez moi, chez nous quoi, dans notre pays la France, je pisse un dernier coup à la frontière et je me purge avec de l’herbe.
Je me roule dans la prêle, qui est bonne. Elle me pique les narines, elle me les picote.
Je me couche dessus, je me roule dessus, m’étale. Je vois le sapin à l’envers. (…)
Je me roule une fois.
J’envoie une jambe dans le ciel, puis dans le nuage qui est dans le nuage tandis que le nuage avance. Je me roule et me reroule, je me rouroule.
Écrire la vie d’un chat nécessite d’inventer une langue
qui ronronne
et dit le coin du feu
et dit aussi
l’urgence qu’il y a à arrêter d’agir
à arrêter
de s’agiter
de s’activer
et de produire
Je rougeoie devant le feu, j’ai le poil rose et rouge.
Je vacille devant le feu, placée près, accoudoir du canapé, assise, bien fixant les flammes orange et bleues, les craquements, le bourdon de la braise, les fumées noires qui font des tours, la cendre et la braise comme mon poil, le chaud qui spirale, me masse le ventre, gratte le nez ; ça y est je penche ; je m'affaisse ; mon œil se ferme tout seul ; je ramène un pied ; l'autre ; ma queue entre ; je tourne la tête ; je casse une oreille ; de suite je siffle. Ronfle par à-coups.
Des fois je parle.
Je cause dans le sifflement. Je m'énerve dans le ronflement.
Puis arrêt.
Juste le coussin du ventre gonfle et diminue,
gonfle et diminue,
gonfle et diminue.
L’attitude de Chemoule devant la flamme m’évoque la Psychanalyse du feu de Bachelard, elle a lu Bachelard, Chemoule ça se sent, elle vous en a parlé peut-être, puisqu’on vous dit qu’elle parle,
Et donc, il ne me manque que la parole ?
Eh bien, c'est que vous êtes sourdingue.
Non contente de causer et de vous rappeler les règles de l’accord de l’auxiliaire avoir avec le participe passé, Chemoule dispense d’autres leçons, plus importantes encore, des leçons philosophiques, des leçons essentielles,
Comment se caresser soi-même :
Tu prends l'angle d'un meuble en bois de préférence, tu y appuies en avançant de trois pas, tu fais demi-tour et tu recommences.
Aussi la mâchoire : tu bascules la tête en arrière, tu la frottes bien fort en réalisant de brefs mouvements semi-circulaire.
Comment se faire caresser par autrui :
En cas de main, tu diriges ton corps de manière à rectifier l'action de ladite main, un peu plus en avant, un peu plus en arrière, etc.
Si c'est sur le crâne, tu résistes, tu pousses vers le haut, et quand tu as trop chaud à la tête, tu laisses tomber, tu te casses.
Comment ne pas se laisser emmerder (1) :
Mais si c'est trop quand c'est trop, t'attaques, tu plantes tes dents en secouant frénétique ta tête, tu déchires, t’arraches le pull, la main, tout le bazar. Dictionnaire dit : fièvre, férocité, synonyme fureur, synonyme folie, synonyme tempête, synonyme délire.
Comment dormir :
Le sommeil monte par le derrière des oreilles, il gagne la mâchoire, il envahit le poitrail, il débilite les membres, annule le dos, puis tout.
Je dors.
Dormant (participe présent, invariable), je pratique l'activité la plus intelligente au monde, la plus sensible, toujours inédite ; un luxe. Je suis dans le luxe. Je mène dormant une vie luxueuse.
Comment faire face aux rivalités ordinaires :
Attention !
Le Pokémon.
Je me retourne et je m'aplatis. Je me mets carpette. Je rabats les oreilles.
Il se balade, tranquille, au milieu de mes terres en reniflant les pissenlits, cet abruti. Il fait des tours avec sa queue, le crétin, et vas-y les arabesques et les voltes, c'est pas un chat c'est Isadora Duncan.
Oh non ! Il va quand même pas siester sur place !
Et mais si !
Ça y est ! Je le vois plus ! Elle est en train de dormir chez moi, la cloche, c'est un comble !
J'hésite.
Je chasse une mouche d'une oreille. Je recule toujours plate. Je recule encore. Bientôt j'atteint le perron du cul. Je monte par l'arrière en contrôlant. Une marche. Deux marches. Je contrôle. Plus qu'une. Je contrôle. J'espère que cette putain de porte est ouverte. Je jaillis, je traverse le salon à trois cent à l’heure et je fonce vers la cuisine.
Je vais à l'assiette avaler une bande de gras de jambon.
Comment ne pas se laisser emmerder (2)
Une mouche ! Salope ! Elle me tourne autour et me cherche.
Je l’avale.
Je la passe au mixer ; c’est pas très bon.
Comment servir d’exemple au genre humain :
(…) Tout le monde m'envie et je ne connais personne qui ne m'envie pas.
Il y a encore dix ans, certains dubitatifs préféraient grimper dans leur auto, effectuer des tours, saisir qu'ils venaient d'acheter une galette ou une mallette, mais à présent c'est fini.
Plus personne ne désire être autrement que moi.
Après les leçons de Chemoule je suis toute zen moi, mieux qu’un cours de yoga ou qu’un coach en développement personnel, je me sens revigorée, je me sens même, d’attaque, mais tout de même je me demande
Est-ce que finalement et tout bien considéré ce ne serait pas mieux de dormir ?
Allez, adios Poniatovski, viva Chemoule et surtout : ACAB (all cats are beautifull).