Michel Baglin (1950-2019) par François Huglo
Un mail de Georges Cathalo m’apprend le décès de Michel Baglin, né en 1950, des suites d’un cancer. Il n’était pas l’homme des avant-gardes, des radicalités littéraires. Pas non plus de ces arrière-gardes qui douillettement mais agressivement s’en prenaient à une « nov poésie » dont elles fantasmaient les assauts, les redoutaient d’autant plus. Dans son essai Les maux du poème, il considérait comme des écueils l’hermétisme et la banalité, ce qui ne faisait pas forcément de lui l’homme de la troisième voie. Préfaçant les poèmes du recueil Les mains nues (L’âge d’Homme, 1988), Jérôme Garcin le traitait d’aristocrate : « ce réfractaire au grégarisme intellectuel et citadin exige des sentiments qu’ils atteignent la même hauteur que celle dont il crédite la pensée ». Mais rien de hautain chez ce Toulousain qui, après une maîtrise de Lettres Modernes sur Roger Vailland, a connu les « petits boulots » dans les gravières, les trains, la restauration, les supermarchés, la représentation, l’Éducation nationale, sans oublier les périodes de chômage, avant de devenir journaliste en 1977, l’un des rares qui ait imposé une chronique de poésie dans la « grande » presse : La Dépêche du Midi, jusqu’en 2009. Il donnera aussi des notes critiques à Poésie 1, Autre Sud, Brèves, Europe, et créera, animera la revue et les éditions Texture de 1980 à 1990, puis le site revue-texture.fr.
Qu’on me permette de reprendre ici ces lignes de ma contribution au dossier « Michel Baglin poète de survie » préparé par Georges Cathalo pour le n° 140 de la revue Décharge (Décembre 2008) :
« J’ai toujours trouvé, chez Michel Baglin, un interlocuteur-questionneur-inquiéteur d’une rigueur sensible, non asséchante. Un type bien.
(…) Nous devons beaucoup à Texture, à la confiance que nous a manifestée Michel, à son écoute. Rien n’est plus formateur, plus encourageant, que ces échanges fraternels de lectures.
On pourrait s’attarder sur les formes pratiquées par Michel Baglin et sur son franchissement de ces formes, l’affranchissement qu’il nous propose —et qu’il ose— vis-à-vis des idéologies qui les portent et qu’elles portent. Ainsi Michel est poète, nouvelliste, journaliste, essayiste, romancier, mais il refuse de correspondre à l’idée (reçue) qu’on se fait d’un poète, d’un nouvelliste, d’un journaliste, d’un essayiste, d’un romancier : il s’aventure aux confins, toujours critique, nomade, entre les zones balisées, piégées ; il échappe aux polices de la pensée. D’où il se tient, il peut voir l’enchevêtrement des voies, entrer dans une solitude, sympathiser avec un clandestin. Il n’est pas un train dans ses rails. Il est une gare de triage ».
Mais lisons le plutôt, car il reste disponible (il l’a toujours été). J’extrais de ses Carnets de Cerdagne, Les pas contés (Rhubarbe, 2007) : « "Écrire, ça doit être un peu comme marcher : on se vide", m’a-t-on dit un jour. Je pense au contraire, dans les deux cas, qu’on ne s’allège pas, mais qu’on gagne en pesanteur. (…) Non, personne, j’en suis persuadé, n’écrit pour simplement tuer le temps ou fuir la réalité. On écrit pour s’ancrer. (…) Je veux simplement croire que si la littérature a quelque mérite, il va au-delà d’une banale disposition à vider son sac. Ce n’est pas une pétition de principe, mais je constate que les livres sont rarement des bouteilles jetées à la mer, porteuses d’un message. Plutôt des bouteilles que l’on voudrait partager pour ranimer des communautés, de cœur ou d’esprit (…). Un bon livre est façon de trinquer de loin avec des inconnus suffisamment proches pour se reconnaître. Il ne s’agit pas de divertissement —un bouquin peut être sombre ou dérangeant— mais de la confiance en notre capacité à ouvrir des dialogues privés ». De ceux qui ne se referment pas.