Le cercle des lecteurs par François Huglo

Les Incitations

05 janv.
2013

Le cercle des lecteurs par François Huglo

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Les lecteurs sont écrivains et poètes ? Circuit fermé, de reconnaissance mutuelle ? Pas faux, mais les ondes aussi sont des cercles fermés, concentriques, se propageant par élargissement des circonférences. Que les lecteurs qui commentent soient (plus ou moins) des écrivains et poètes n'est que la conséquence du fait que les écrivains et poètes sont avant tout (chronologiquement, du moins) des lecteurs.

"Par l'exercice de la poésie, on pose autrui en égal", écrivait Leiris, en écho sans doute à "la poésie doit être faite par tous" (elle l'est, si la lecture est active). La formule de Leiris implique une certaine "reconnaissance mutuelle". "Je me fais seul, profondément seul, avec la solitude d'un autre", écrivait Bachelard, parlait-il de la lecture ou (aussi) de l'écriture ? Le "tous" de Ducasse inclut la lignée d'"horribles travailleurs" dans laquelle Rimbaud s'inscrivait, consentant même à sa disparition : "un autre" le relaiera. La lecture est une activité solitaire, le matraquage publicitaire peut faire acheter un livre par un certain nombre de clients, mais la lecture n'a rien de commun avec l'impulsion d'achat, elle ne peut faire nombre, elle est unique (la relecture est une autre lecture). Et chacun apprend à lire, ne cesse d'apprendre à lire. Si le cercle des lecteurs d'un livre est fermé, chacun peut y entrer, peut élargir le cercle. C'est pourquoi toute la littérature, toute la poésie, sont -comme l'Encyclopédie- populaires : écrits par des citoyens pour d'autres citoyens, des fils (selon leurs origines ou selon leur cœur) du peuple pour d'autres fils (selon leur origine ou selon leur cœur) du peuple (mais seules "les eaux glacées du calcul égoïste" excluent du peuple, alors que la littérature, la poésie, les arts, appartiennent à sa culture commune : Mallarmé et Ghil autant que Victor Hugo, Milosz pas moins que Cadou, etc.). Bourdieu n'eut pas tort d'affirmer que l'opinion publique n'existe pas, et Averty eut raison de nier l'existence d'un public. Il n'y a pas de "masse des lecteurs", de "majorité des lecteurs". Il y a un lecteur (plusieurs en un), et un autre, encore un autre, qui se parlent, se rencontrent : cercles, réseaux... Pourquoi reprocher à ces lecteurs d'écrire (souvent) ? Autant reprocher aux écritures qu'ils lisent d'être contagieuses (lisibles). Ceux qui lisent écrivent, parce que ceux qui écrivent sont lus. Élémentaire, chers lecteurs et amis !