Pierre Gondran dit Remoux, Réa par Léo Dekowski

Les Parutions

30 mars
2023

Pierre Gondran dit Remoux, Réa par Léo Dekowski

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Pierre Gondran dit Remoux, Réa

 

Dès le début, Pierre Gondran dit Remoux prend le parti de nous expliquer le dispositif de son livre et d’en faire le commentaire : le recueil sera composé de 49+1 poèmes en rectangles de texte justifié qui évoquent par leur forme le lit d’hôpital sur lequel il a été réanimé. Il aurait pu nous laisser deviner le sens de ce choix formel, mais non : avant même de franchir la porte du recueil, nous savons, comme ces proches de la famille qui viennent rendre visite et s’attarder un peu pour tenir compagnie à un convalescent.

Ces poèmes-lits sont composés de lattes de peu de lettres : dix à quinze tout au plus, coupées sans lime à bois, qui forment des mots, souvent commencés à la droite d’un vers pour être finis à la gauche du suivant, va-et-vient qui n’est pas sans rappeler ceux de l’homme angoissé quand il ne trouve pas le sommeil.

Que faire pour occuper ces défauts de sommeil ? Penser, à ce qu’on vit, à ce qu’on sent, à ce corps trafiqué, contrôlé et perturbé, dans le même temps menacé et tenu en vie par les tuyaux et les aiguilles. Corps empêché, contraint : au-delà de la forme, le vocabulaire médical disséminé dans le livre, présent à chaque double page, manifeste et scelle cette fatalité hospitalière : pour l’instant, on n’en sort pas.

Pour autant, la langue poétique de Pierre Gondran n’est pas complexe : les phrases sont syntaxiques, relativement aisées à suivre ; mais le dispositif contraignant écartèle cette simplicité, la crypte, il déchire un mot sur deux, comme si le poète avait les mots qui lui restaient en travers de la gorge. Déchirements parfois riches de sens, un hasard plus ou moins concerté faisant saillir des potentialités signifiantes qu’un mot peut révéler quand il est détaché en deux segments de lettres distincts (« dans le c / ourant paresseu / x et épais de m/  es mille condu/ its lymphatiques »).

Autour de ces mots, les grandes marges blanches, les grandes marges de silence chères à Éluard, sonnent creux : l’écho du brouhaha environnant les lits d’hôpital parvient peu à nos oreilles, les ouvertures sur l’extérieur sont rares, l’imagination a peu d’espace ; le lecteur est sanglé sur le lit de mots centrés.

Mais peu à peu l’esprit lutte contre cette situation corporelle, on le sent désireux de trouver une forme de liberté. Par la réitération de la forme, le poète procède peu à peu à la réanimation de l’esprit, dans des poèmes d’espoir où les mots sont un peu moins coupés. Pour autant, pas de trajectoire linéaire tout le long du recueil : un processus de réanimation ne l’est jamais, non plus qu’une convalescence. La sincérité phénoménologique empêche l’installation d’un optimisme béat ou de la berceuse de l’illusion, quelque fois introduits au moment des injections de « morphi / ne à la demande » ou des anesthésies. La douleur parcourt tout le texte, sinueuse, comme elle parcourt le corps, plus intensément exprimée au moment du réveil, car lestée du temps déjà passé.

La sortie de lit est progressive : vocabulaire médical toujours présent, mais la voix retrouve un peu d’élan, un flux moins morbide que ceux qui alimentaient naguère le corps en réa. Jusqu’au dernier poème, principalement composé de distiques qui reconstituent la première marche lente et hésitante. Un sourire peut s’esquisser dans des images bucoliques : la réa, homophone de la mère des dieux grecs, permet d’imaginer à son terme une vie ambrosiaque.

 

 

 

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