Poèmes du vide, Daniel Ziv par Dorsaf Keraani

Les Parutions

30 mars
2023

Poèmes du vide, Daniel Ziv par Dorsaf Keraani

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Poèmes du vid, Daniel Ziv

 

La poésie contemporaine érige en équivalence langagière des signifiés voire des antonymes    incommensurables qui tirent leur quintessence d’une référentialité externe au poème mais qui lui est en même temps immanente. C’est bien le cas de l’immanence de la vacuité et de la fragilité de la plénitude. Aussi étrange qu’il puisse sembler, ce rapprochement entre l’inanité du rien et la fébrilité du pullulement, est une constante dans Poèmes du vide de Daniel Ziv qui interroge « la vie amère dans le vide » et « la vie à vide uniforme » (p.97). L’infiniment petit achoppe en permanence sur le vide infini d’une existence chevillant dans la double contrainte temporelle d’un « présent [qui] était là » (p.67) et d’un « demain qui disparaît déjà » (p.79). Cette fugacité qui fait que « l’amour s’estompe » et même le « souvenir s’évapore » est fortement déplorée par le poète dont le dire poétique résonne contre l’oubli des « malheureux [qui] sont broyés dans le vide » (p.14) et ceux « qui dans le vide se déplacent » (p.16). À l’opposé de ce vide, un trop-plein d’images et de mots encombrants, scandés par un rythme en systole et diastole, se transforme en dépossession, en éclats vidés de sens. Au creux de ce vide, qu’il soit quantique, propre à l’astrophysique ou encore à l’optique aristotélicienne, une densité pourrait naître subrepticement, même sur le mode contradictoire quand « les regards sans yeux » (p .82) scrutent des non-lieux que crée le vide. Ce vacuum a « emmuré tous les cris » (p.28) qui, pourtant, ont retenti et mis en échec les béances de la vie. Ainsi, combler le vide n’équivaut-il pas à résister aux « abîmes de la mémoire », au néant que pointe ce vers : « Le vide empli de mémoire sans mémoire » (p.79) .Le double vide, existentiel et mémoriel, est signalé par des expressions où priment l’absence des couleurs et des odeurs (« rêves incolores », « rêves indolores ») pour dire une vie fade que les jeux de mots d’un poème dédié au psychanalyste Jacques Lacan peuvent égayer : « et rien de tout n’existe/peut-être : simple je de mots » (p.41). Mais, pour Ziv, rien n’émousse « le désespoir en face », « le temps qui fuit », la solitude, la véhémence du monde et le chagrin quand « l’autre n’est plus là » (p.38). La poésie se fait ici dictame parce qu’elle remédie au vide et défait sa pesanteur – quoiqu’il paraisse bizarre pour certains, le vide a un poids pesant à supporter –, devient quête de sens que matérialisent des poèmes souvent structurés suivant un plan asymétrique, désalignant les vers fragmentés, comme pour éviter la massification de la parole et visualiser le vide entre les lignes. Car la vacuité donne à penser et laisse résonner un silence d’habitude insonore si bien que « le temps s’espace » (p.94) et « l’espace s’éternis[e] » (p.54). Ce chiasme spatio-temporel est un cadre dimensionnel, phénoménologique dans lequel se déploient, sur un ton lyrique, des poèmes-pensées que ponctue l’évocation de Prévert, Fanon, Sylvia Plath, Nerval et bien d’autres auteurs connus pour leurs écrits littéraires à tonalité humaine. La disposition générique des poèmes variant entre la brièveté et la longueur ne ressortent pas des conventions métriques et des formes classiques :

                                                      

                                                        La vie                  

                                                                                            qui résonne

                                                        S’écrase

                                                        résonne encore

                                                        quand nous parlons

                                                                                            de toi. (p.38) 

 

En l’espace de ces Poèmes du vide, le poète cherche à transcrire des passages à vide parce que « dans le fouillis des mots/ ne rien dire » (p.58) pour affronter les sévices d’une « histoire  sans fin » (p.26) ne peut qu’enfoncer la vacuité. Mais vers la fin du recueil, le poète défie ardemment le vide par « des poings levés » (p.82), en signe d’espoir.  

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Photos Jacques Cauda
Préface Jean-Claude Pecker


Z4 Editions, 2018
104 p.
12 €


 

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