À peine crédible par Daniel Cabanis

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

À peine crédible par Daniel Cabanis

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Hôtel

J’arrive à l’hôtel où j’ai réservé une chambre. À quel nom ? demande le réceptionniste. Bobby Deck. Hein ? il fait. Bobby Deck, je répète. Il dit Desk ? Je dis Non, Deck; Bobby Deck. Il examine des tableaux sur l’écran de son ordinateur. Puis il dit Ah, voilà, Bobby Bobsleigh; c’est bien ça ? Je dis NON. Désolé, dit-il, j’ai rien au nom de Deck. Essayez avec ma femme, je dis, pour voir s’il n’y a pas eu erreur. Je commence à l’agacer mais Essayons, dit-il. Deck, je dis. Excusez-moi ? dit-il. D-E-C-K, j’épelle. Il me regarde en biais comme s’il était psy. C’est son nom, je dis; Sonia Deck, ou So Deck (si So Deck vous paraît plus explicite). Comprends pas, dit-il. J’explique : So est un diminutif, on dit aussi Sosso, ou seulement S. Je vois, dit-il, mais pas de réservation à ce nom-là. En revanche, il est tard, et j’ai là une dame Bolivar qui. C’est elle ! je coupe. Oui, c’est Sosso; Bolivar a été son nom de jeune fille quand elle avait six ans. Il me tend la clef de la 218. Et arrive Mme Bolivar, qui voudrait sa réservation. À quel nom ? demande le réceptionniste. Chavez, dit-elle. Très bien, dit-il; 218. Et en me désignant il ajoute Suivez monsieur, il va vous conduire à votre chambre. On y va. Je porte sa valise. Vous ressemblez vachementà Bobby Deck, me dit Mme Chavez, c’est vous ? Eh non, je dis; moi, c’est Hugo del Bolivar.

 

 

 

Sœurs

Les sœurs Vitrier sont trois : Zo, Zette, Zozette et Zita (donc elles sont quatre). Prénoms ridicules, certes, qui forment un bel ensemble ridicule mais pas plus que les Ga, Gue, Guy, Go et Gu des frères Mousquet que l’on disait quatre et en fait étaient cinq, au moins cinq. Mme Vitrier, de nationalité allemande, s’appelait Zora Zoten avant d’épouser français. Elle est morte en couches expulsant limite sa dernière fille ici-bas. Le père Vitrier n’est pas vitrier de métier (c’eût été plaisant) mais sans profession(il a tout de même un œil de verre). Il est jugé pour le crime d’avoir assidûment violé ses filles dix années durant. Pour sa défense, il dit le poids pesantdu veuvage et l’impérieusepoussée de ses besoins sensuels. Cet ignoble baratin d’avocat qu’il récite est odieux. Z’avais besoin de zouir souvent, confie-t-il (porc qui zozote), ce qui fait rire et pleurer en même temps l’assistance. Il va prendre le maximum. Les sœurs Vitrier ont maintenant vingt, vingt et un, vingt-deux et vingt-trois ans. Elles sont venues au procès avec leurs fiancés respectifs, les fils Zedong : Wei, Wo, Wu et Mao; tous travaillant dur comme frères dans le restaurant familial et raides fous dingues amoureux des quatre filles Vitrier, si fragiles et diaphanes, disent-ils. Le père prend perpète. Les sœurs dès le lendemain tombent enceintes. Ou les jours suivants.