APPARITIONS - 4 par Philippe Beck

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

APPARITIONS - 4 par Philippe Beck

Intellect.


 
L’intellect général est en chacun. Ou plutôt : il est chacun. Sa puissance est géométriquement distribuée à tout cerveau ambulant sur la Terre. Elle devient au mieux la force d’être pensé quand on s’exprime ; par les phrases qu’il prononce, quelqu’un n’est alors ni le point de départ ni le point d’arrivée de la réflexion. On le pense, et voilà exactement l’intuition spinozienne de Rimbaud (« C’est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots. », lettre à Izambard, 13 mai 1871). Chaque esprit humain, une âme commençant à réfléchir bien ou mal dans un corps, est un esprit collectif. Enfermé dans un sentiment de liberté indivisible, il reste à son cœur défendant le représentant d’une vérité aérienne et terrestre, celle du temps commun, de sa traversée présente. Cependant, la guerre libertarienne enfouit le commun au centre de la nuit noire, où plus rien n’apparaît ; c’est la guerre au commun véritablement commun qui est devenue le principal, derrière l’apparat des discours de la nation. Elle ne peut effacer la généralité de tout intellect, dont le sens est, en droit, la chose du monde la mieux partagée. Il n’y a pas de langage privé. Réduite à des opinions mesquines et insubstantielles, la pensée fait encore l’hypothèse du même monde pour tous. D’habitude à la fin se déclenche la guerre à la guerre, mais le besoin de détruire l’entendement universel qui caractérise tout animal politique doué de langage revient au besoin de supprimer l’existence de l’âme physique (l’intensité de chacun) et d’éteindre sa hantise perpétuelle, qui est l’énigme du phénomène de vivre avec d’autres âmes historiennes. La guerre libertarienne, au nom de la force de la propriété atomisée, ne détruira pas la pensée. Elle parviendra peut-être à supprimer la terre sur laquelle apparaissent dans des corps les pensées, ces activités de compréhension du monde qui partagent l’unité de leurs différences immédiates ; la multiplication des besoins de meurtre, de solitude absolue, n’y changera rien, et l’intellect général ne disparaîtra qu’avec la Terre. « Le cerveau est pour nous un interprète de ce qui nous vient de l’air, s’il est en bonne santé. Mais la pensée, c’est l’air qui la lui fournit ; les yeux, les oreilles, la langue, les mains  et les pieds agissent en fonction de ce que le cerveau connaît. Car tout dans le corps vient de la pensée dans la mesure où il participe à l’air. Pour la connaissance, c’est le cerveau qui est le messager. Car quand l’homme attire en lui le souffle, il va d’abord dans le cerveau et ainsi l’air se disperse dans le reste du corps, laissant dans le cerveau sa force. » Ces mots d’Hippocrate sont à l’arrière-plan de la phrase définitive d’Emerson : « L’air est plein d’hommes. »