Le dossier della Francesca, extrait par Véronique Pittolo

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

Le dossier della Francesca, extrait par Véronique Pittolo

  • Partager sur Facebook

 

Comment traiter un artiste sans chronique ?

            Quand l’unique idéologie est le christianisme, comment peindre

            autre chose qu’une Sainte Famille (réduite, scannée) ?

L’âne et le bœuf n’ayant aucune intensité narrative,

comment les rendre ?

Broder les tailles,alléger les détails.

 

Piero croyait en l’ordre divin (géométrie), mais on ignore

comment il passait ses fins d’après-midi, une fois la peinture sèche.

Esquissée au XVe siècle, la théorie du moment favorable

est encore valable (petite place, je stationne pour l’apéritif).

            18h30, encore un Martini, les jeunes Italiens tournent en rond

            (vespas, jambes nues).

            Sur un selfie, la jeunesse vulgaire reste jeune mais les profils

demeurent identiques  (nez Pérugin, taille Raphaël).

            La fortune critique des grands peintres étant laudative,

on trouve rarement la formule Raphaël, mièvrePiero, plombant

Léonard homo

           

Dans mon panthéon, Pérugin, efféminé, passe avant Raphaël,

(sprezzatura), plus adolescent, sans un bruit de vespas qui freinent

(smartphones).

 

Quel fut le lien de Piero avec le motif à une époque où dire

Sur le motif était impossible ?

Comment envisager sa palette parmi les hirondelles,

sous le vent qui secoue le chapeau du Douanier Rousseau ?

Le décor planté, son gâteau emballé, l’idéal géométrique

persiste (paysage simple, arbres posés).

 

 

Aucun carnet n’a été retrouvé (Carnet Salomon, Carnet Constantin).

Picasso dessinait une corrida la veille du spectacle pour avoir de quoi payer

l’entrée le lendemain (facture, addition, restaurant).

 

Comment peindre un homme qu’on n’a pas vu en vrai ?

Quand on affirme qu’une peinture est plus ou moins vraie

parce que la vie y entre plus ou moins, qu’en est-il dans le cas de Piero ?

            De ses amours, qui est entré dans son œuvre ?

(Nous ne le saurons jamais).

Ce qui de tel visage est le reflet d’un sentiment, non plus.

 

 

 

Nous ignorons ce qui est passé de sa vie à l’art et inversement.

Ce qui constitue Piero à une époque où les papes ont une sexualité active,

nous l’ignorons.

Le visage du barbu de 33 ans est-il un autoportrait gâché ?

            A quoi ressemblait une vraie jeune fille, à la Renaissance,

en regard d’une fausse Vierge ?

De Dante, nous avons Béatrice, mais de Piero nous n’aurons personne

à qui nous raccrocher.