MES ADIEUX À ANDROMÈDE d’Andrea Inglese par Véronique Pittolo

Les Parutions

29 avril
2020

MES ADIEUX À ANDROMÈDE d’Andrea Inglese par Véronique Pittolo

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MES ADIEUX À ANDROMÈDE d’Andrea Inglese

Tout amour devient, à un moment donné, une histoire d’amour, et la littérature existe pour interroger et raconter les intermittences du cœur, de la passion, la quête du bonheur et les raisons de son échec.

Andrea Inglese appartient-il à une tradition italienne de la littérature amoureuse qui, de Dante à Moravia, explore le monde des sentiments et son invraisemblable complexité ? Il me semble que oui. Dans un parcours inverse à celui de Stendhal (qui explora l’Italie pour des raisons militaires et politiques, puis amoureuses), Inglese découvre la capitale française dans un syndrome de Stendhal inversé : il ne s’agit pas d’un Paris pittoresque de carte postale (les quais, Notre-Dame, etc), mais d’une ville entièrement imprégnée de désir, qui donnera son titre au roman publié en 2016 (Parigi è un desiderio, éd Ponte alle Grazoe), dont Mes adieux à Andromède constitueune sorte de work in progress sensible et sentimental.

Nous savons depuis Le Banquet de Platon que l’amour est un drame existentiel lié au manque. Une majeure partie de la littérature (la poésie, l’épopée, le roman), a transformé ce drame en fiction pour adoucir le malheur et le rendre vivable. Ce petit livre hybride se présente comme le récit d’une rupture à travers l’ekphrasis d’un tableau de Piero di Cosimo, Persée délivrant Andromède (1510). La description rêveuse de la scène de l’enlèvement (fantasmatique, mythologique), agit comme confession et objet d’analyse, catharsis et aveu d’impuissance. Cette histoire de l’art miniature rassemble des souvenirs, des réflexions, comme autant de vestiges d’une histoire qui a duré neuf ans :

Tout ce long malentendu qu’avait été cette histoire d’amour, qui comme chaque amour semblait édifier sa durée sur la compréhension bien évidemment pas seulement verbale, et non plus sur une simple affinité de visions ou accords des sentiments, mais sur un jeu calibré de fantasmes et de désirs, de rêves et d’attentes.

Le narrateur (personnage, autobiographe), incarne en creux le héros puis le monstre, quand la mythologie devient un réservoir iconographique d’émotions et de mouvements : Persée représenté plusieurs fois (ou plutôt chorégraphié), entre sur la scène de l’action, descend du ciel en piqué, dans la posture de l’ange de l’Annonciation, sur le point de délivrer Andromède attachée à un arbre. Au lieu de s’en tenir au schéma stéréotypé du chevalier conquérant (force virile), Piero di Cosimo peint un personnage gracieux, efféminé, au visage adolescent, au costume bigarré. Persée est décidé certes, valeureux, oui, mais volatile et flottant dans la transparence de l’air. Ainsi l’amour épanoui, réalisé (le couple, sa stabilité), n’est jamais à l’abri d’une sortie de piste, d’un décadrage, parce que ses protagonistes ne tiennent pas en place. Entre la fixité d’une œuvre peinte et les reflux mouvants de la désillusion, l’auteur revit son passé comme une série de « scènes », de petits riens exaspérants qui conduisent au désenchantement : Les coups de fil déchirent, les lettres divaguent, rien ne cicatrise.

Les conversations téléphoniques entre la France et l’Italie accentuent l’incertitude, le flottement de marionnette des amants qui, à distance, ne sont jamais certains de ne plus aimer ni désireux de revenir en arrière :

Mais la douleur bouge, c’est une vague, un cycle, un itinéraire et une orbite, à la nature toujours oscillatoire, elle s’en va pour revenir, elle revient pour s’en aller.

Majoritairement en prose, le livre comporte des passages en vers parce qu’Andrea Inglese est avant tout poète et qu’il aime le désordre des genres.

Les genres, les figures, les significations symboliques du mythe ne sont pas assignés à une fonction précise, ils bougent, inversent les rôles :

Ce n’est pas Persée qui chevauche le monstre, tombant du ciel; c’est le monstre qui enfante Persée comme une fantaisie, un ornement brumeux, une figurine en carton-pâte joliment remuée. Offrant le spectacle pathétique de sa monstruosité, le dragon ressemble à un dinosaure de studio Disney, il constitue un pont, une médiation entre Persée et Andromède, liberté et aliénation.

J’ai aimé la sincérité avec laquelle l’auteur confie sa fragilité d’amoureux, celui qui devrait être actif et volontaire, face à la jeune fille passive qui attend la délivrance. Le mâle séducteur n’en révèle pas moins l’enfant qu’il fut lorsque, petit garçon, il rêvait non pas d’une femme, mais de LA femme : Au petit garçon qui dort apparaît une petite fille rêvée, peut-être un tantinet plus grande que lui, une petite fille de huit ou neuf ans, qui est belle à ses yeux, mais surtout proche, et enveloppante, une femme, donc, qui l’assouvit …

Est-ce un trait typiquement italien, fellinien, que la femme soit dès l’enfance le paysage unique, immense, incompréhensible d’un homme qui fut un jour un petit garçon ? Le sentiment de l’amour tel qu’il est vécu dans la psyché enfantine, avant que l’amour n’existe dans la vie. Dans Amarcord, le jeune héros est fasciné par une anatomie généreuse, bienveillante mais dévorante (les seins, le ventre). A rebours du machisme et des idées reçues sur le sexisme latin, Andrea Inglese nous fait partager l’état perpétuellement enfantin de l’amour, ce bien-être à l’intérieur duquel on nage comme dans un corps merveilleux.

J’ai toujours pensé qu’aimer était une chose importante, partout on en parlait comme l’amour était grand, et je glissais dedans l’amour avec aisance.

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