Hannibal tragique de Joseph MOUTON par Véronique Pittolo

Les Parutions

15 août
2010

Hannibal tragique de Joseph MOUTON par Véronique Pittolo

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Qu'est-ce qui vaut la peine, aujourd'hui, d'être raconté dans un livre,entre le moi de l'auteur et les soubresauts de l'époque ?
Comment s'autoriser l'invention d'une fiction, se débattre encore avec l'idée du roman, en découdre avec la poésie ? Ces questions sont-elles valables ou usées, négligeables ou intéressantes ? J'ai trouvé une réponse en creux dans le dernier livre de Joseph Mouton, livre qui démonte et démontre le désenchantement auquel conduisent trop de questions. Tout y passe : le devenir de l'artiste contemporain, la déprime de l'écrivain, la fermeture des bars et la catastrophe que constitue la perte d'une clé de voiture. Ou encore, plus prosaïquement, les agitations vaines et mondaines des micro-milieux (artistiques, poétiques, universitaires). Peu importe que Jean-Marie Grès soit reconnu au détour d'un dîner puisque la forme journal permet d'intégrer différentes strates de discours, et il arrive, lors de mini séquences lynchiennes, que les parois s'ouvrent, que des cloisons s'effondrent. On est alors dans un laboratoire hollywoodien entre un producteur névrosé, une assistante hystérique, des personnages dont on ne sait s'ils sortent d'un film où s'ils en sont les fabricants.
Mouton fait dire à son lecteur générique : Etes-vous conscient que nombre de lecteurs préfèrent votre poésie existentielle à votre parodie hollywoodienne ? Certes, mais la fiction en tant que construction d'un univers parallèle, constitue un rempart idéal à la dépression, agit comme virtualité, possibilité, impulsion, du stennos au storytelling piqué et repiqué aux mauvais auteurs, aux séries télé...
parce que, oui, seule la fiction fait qu'on tient le coup, dans une existence de toutes façons tragique. On domestique l'existence pour se divertir, par petites secousses narratologiques à partir d'ingrédients ready made (une série de films d'avalanche, un bestseller acheté chez Carrefour).L'idée m'a traversée un instant que Mouton était l'écrivain hybride de notre époque, le transversal à l'état pur, le Hannibal qui n'a pas pris Rome mais a développé de fulgurantes stratégies, cloné cinéma et littérature, un Houellebecq cadiotisé - sans la morgue mortifère de l'un, ni le désir excessif de séduire de l'autre. Ou, mieux :
Un Roquentin du virtuel. (Pardon, Joseph, pour l'avalanche de références).De Marseille à Los Angeles et du monde de l'art au supermarché, on rit beaucoup chez Mouton, même si le voile noir de la mélancolie s'abat de temps en temps sur la vie et vient contaminer l'œuvre, même si une misogynie latente fait parfois surface : oublier le prénom d'une fille draguée dans une soirée, n'est-ce pas odieux ? Exhiber une créature aux seins prothétiques (Rhonda), faire semblant d'en pincer pour une brave fille rencontrée sur un site (Gabrielle, Maryline), qu'est-ce que ça veut dire ?
Cela signifie que je préfère être une femme dans la vie qu'une héroïne dans un livre de Joseph Mouton, bien que sa misogynie demeure agaçante, déroutante, ou simplement amusante. L'Amicale des lecteurs de Delenda Ouest accepte tous les adhérents, les fans, les sceptiques, les tragiques et les futiles, les anxieux. C'est pour cette raison que ce livre-ci, à la suite du précédent, doit être lu de toute urgence.
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