Chambre jaune, Françoise de Laroque par Véronique Pittolo

Les Parutions

05 juil.
2022

Chambre jaune, Françoise de Laroque par Véronique Pittolo

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Chambre jaune, Françoise de Laroque

Voici un livre modeste, constitué de chapitres hétérogènes, qui évolue au gré d’une pensée en développement : on aimerait en lire davantage tant le plaisir est grand (un grand plaisir pour un petit livre de 20 pages). Chaque partie pose une question différente, un problème, un constat, et à chaque fois un monde s’ouvre dont nous souhaiterions la suite, comme si nous étions devant l’ébauche (très maîtrisée) d’une œuvre future.
Fruits, Adjectif verbal, Ciel !, Mi-chemin, autant de titres qui signalent la diversité de l’ensemble. Des réflexions originales sur la grammaire côtoient une description du quotidien, de la proximité la plus banale, mais aussi des considérations mélancoliques, voire métaphysiques (le temps, le blanc et le vide du temps des agendas).
J'ai rencontré Françoise de Laroque lors d'une session de traduction de poésie américaine, au début des années 90, et je découvre aujourd’hui dans son écriture quelque chose de la fraîcheur brute des poètes américains, ce lien direct qu’ils savent établir avec le monde concret, les choses insignifiantes (ici, des fruits dans une corbeille), et relisant un poème de Joseph Simas (que Françoise a traduit dans l’anthologie 49+1 nouveaux poètes américains), je découvre ceci :
Les mots ne pourront jamais supplanter l'acte de voir, mais sont là pour décrire ce moment où l'œil commence à le faire.  Le langage et la perception s’entrechoquent de la même manière dans la prose de Françoise :
« Et cet éclair. Après une lecture publique. Un au revoir amical… La casquette ajustée, le foulard noué, masquant les signes de l’âge ».
Quand le temps est à la fois celui de la perception et de la description, il est difficile de faire coïncider les deux, parce que le temps, pris dans son accélération permanente, exige des pauses (c’est nous qui en avons besoin de ces stases). Ainsi en est-il de la parenthèse, en principe plus légère que la phrase ou le quotidien. Une pause. L’ambigüité de ce demi-cercle qui avale la phrase permet de tout mettre dedans, d’augmenter la pensée, là où le quotidien gonfle. Ce petit signe graphique échappe à la grammaire des métaphores pour devenir un moment, grave ou léger, en expansion : La porte a claqué si brutalement qu’elle a effacé le geste d’ouverture.
Dans Adjectif verbal, il est question de la solitude de qui n’a pas pensé à noter les choses (événements, personnes, situations) :  Pages restées blanches de l’agenda. Blanches sans rendez-vous. Le carnet traditionnel (par-delà ses avatars électroniques), est censé découper le temps en tranches, il porte la trace des gens qu’on aime et qu’on retrouve, des films vus et racontés (à ceux qu’on retrouve à nos rendez-vous). L’agenda signale les trajets et les goûters de l’enfant, comme nous, lecteurs, évoluons dans cette Chambre jaune au gré d’un arpentage plaisant, de paragraphe en paragraphe, lorsqu’un motif nous retient, mais pourquoi celui-là plutôt qu’un autre (se dit-on, en tant que lecteur) : l’enfant, la mère (autobiographie, mémoire de l’instant maternel), lorsque l’enfant avait les gestes imprécis, dans sa volonté impérieuse de désigner quelque chose, de se manifester. Petites choses, choses importantes mais sans hiérarchie, le carnet dénonce alors l’oubli. Les ellipses resteront des trous noirs, des espaces vides si on n’a pas noté les progrès de l’enfant.
Les verbes conjugués au début de la phrase, au lieu de structurer la syntaxe (sujet verbe-complément), proposent une systématique répétitive, hypnotique, et je repense à la traductrice de  poésie américaine dans sa manière toute personnelle d’agencer un univers prosaïque et poétique, sincère et troublant, entièrement singulier.

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