Jacques Donguy - Pop-poésie et nouveau réalisme (1972-1987) par François Huglo
- Partager sur :
- Partager sur Facebook
- Épingler sur Pinterest

Dans un « inventaire avant liquidation », préface manifeste à l’anthologie Le Nouveau Réalisme, parue dans « Poésie1 » n°42, en novembre-décembre 1975, réaction à une poésie blanche « déconnectée du vécu de l’époque », Jacques Donguy parle de « poésie pop’art, où la société de consommation, absente de la poésie d’un Jaccottet par exemple, se prend elle-même comme thème, et qui utilise les images que donne d’elle-même cette société de consommation, transposées selon le code de l’affiche publicitaire ». Apollinaire, déjà (qui avait parlé de « nouveau réalisme » en 1917, lors de sa conférence « l’esprit nouveau et les poètes) : « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut / Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux ». Alain Bosquet tombe complètement à côté quand, dans « Le Monde », le 24 septembre 1976, il réduit le Nouveau réalisme tel que le présente l’anthologie, à un rassemblement de poètes lyriques pleurant amèrement sur « leurs misères : la drogue, le vagabondage, la sexualité sans joie ». Plus proche de Ducasse, Donguy écrit : « Ce qu’il y a de commun à toutes ces tentatives, c’est l’idée que tout peut être art, qu’il n’y a pas de domaine réservé du Beau (le musée) ». Loin de cette « poésie subjective » que Rimbaud jugeait « horriblement fadasse », l’œuvre se veut « le miroir froid de la société actuelle », miroir brisé, papier glacé (ou non) découpé, manipulé à distance humoristique et critique, surfaces planes fragmentées et réajustées à froid : « Il n’y a plus, au-delà du texte, de profondeur, d’arrière-plan ou d’arrière-monde », mais « comme une bande annonce d’une actualité refroidie (Arnaudet, Biga) ».
La « peinture froide, photographique », de Monory, Fromanger ou Klaser, a précédé l’écriture qui, selon Brian Gysin, « a cinquante ans de retard ». Donguy cite Tilman dans Chorus n°10 : « Toute œuvre est un roman-photo. Tout artiste est un metteur en scène des média ». Ainsi, Venaille pratique l’« utilisation au second degré de documents ». Comme l’écrit Pierre Restany, les nouveaux réalistes « considèrent le monde comme un tableau, une grande œuvre fondamentale dont ils s’approprient des fragments ». Appropriation critique : du ready-made de Duchamp au détournement de Debord. En amont, en juin 1960, un numéro spécial des Lettres Nouvelles de Maurice Nadeau, consacré aux « Beatnicks », avait été « la première anthologie de la Beat Generation parue en France ». Une autre, traduite par Jean-Jacques Lebel, est sortie chez Denoël en 1965. Claude Pélieu, poète français vivant aux États-Unis depuis 1963, assurera avec Mary Beach le lien entre les deux pays, par ses traductions de Ginsberg, de Kaufman et de William Burroughs, et par un numéro spécial des Cahiers de l’Herne n°9. Se rattachent à cette génération les notions d’« underground » et de « free press », ainsi que les éditions « Electric Press » de Michel Bulteau. Le collage, qui réalise peut-être le rêve rimbaldien d’une froide « lame » coupant une cervelle « aux vapeurs jamais nouvelles », commence le siècle « avec Merz de Schwitters et Dziga Vertov », et le termine « avec le "couper coller" de l’ordinateur, les possibilités hypertextes des multimédia ». Et Donguy deviendra « poète électronique »
Les textes théoriques sont suivis d’extraits de la correspondance Pélieu-Donguy qui ne le sont pas du tout, et précédés de travaux pratiques, parus en revues. De San Francisco, en 1977, Pélieu donne à Donguy des nouvelles de ses amis, et lui demande d’envoyer « quelque chose à Lucien Suel, qui reprend la publication de "Star Screwer", c’est un jeune mec très bien ». La revue avait été fondée en 1971 par Bernard Froidefond, désormais « trop occupé avec "L’œil Merdique" ». En 1978, « Joël Hubaut fait des tas de choses en vidéo, tu devrais le voir, expo etc. ». Un cahier reproduisant cartes manuscrites, tapuscrites, et illustrées de collages, complète le dossier.
Saint-Germain-des-Prés avait publié en 1972 le « premier recueil d’écriture-collage » de Jacques Donguy, « quasi confidentiel », mais Bernard Delvaille lui avait demandé d’en reproduire un extrait pour l’anthologie qu’il préparait, « La nouvelle poésie française », parue en 1974, « grand succès de librairie », rééditée en 2 volumes en 1977. La présente anthologie rassemble des poèmes parus dans la revue Chorus n°12, un extrait de texte interprété en 1975 au Gueuloir du Festival d’Avignon, d’autres parus dans Vivarium Visa de contrôle en 1977, dans Exit n°5 en 1975, dans Cheval d’Attaque n°15 en 1977, dans 25 n°4 et n°9 en 1877 (Atelier de l’agneau, Herrstal, Belgique), dans Rue Rêve n°2/3, 1977, Montpellier, dans Star Screwer n° 9/10, 1978, repris dans Aluminium Nights, Le Castor Astral, 1987. Le sordide et le glauque y jouxtent le précieux, l’érotisme gourmand : « l’apparition du chancre boîte de 3e ordre terminus de la cave murs qui disparaissent sous les miroirs sevrage l’aiguille s’enfonce spectre gris chair emprunt explosion » et « beaux seins blancs dans la cuisine qui sent le lait chaud », ou « nudité aigre-douce de pomme verte -foulard de soie ». Des « rats percés d’épingles à chapeau » évoquent Marcel Proust (sa biographie par Painter). Paris et New York se mêlent. Dufy, Delvaux, Botticelli, Topor, Fini, Mondrian, Miro, croisent Ella Fitzgerald, Alice Cooper, Jimi Hendrix, Jim Morrison, John Lennon, et Patti Smith. D’une « station-service couleur de bande dessinée » sortent Batman et Wonder Woman.
À « l’envers d’une publicité euphorisante », en une « sorte de guérilla-poésie contre la "Machine" qui est, finalement, volonté de (sur)vivre », Donguy cite Pélieu (Manifestes de la génération grise et invisible) : « Les bulles bleues d’un nihilisme joyeux sont nos étoiles ». Un champagne-curaçao, pour changer un peu de la « Suze-citron » ?