Laidie Macbest par Michaël Moretti

Les Incitations

26 avril
2017

Laidie Macbest par Michaël Moretti

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Vive le loto d’Albion ! « Rape and revenge » subversif et classique dans la lande, récit d’apprentissage ou anti-conte cruel tel Les Diaboliques de Jules Barbey d'Aurevilly (1895), avec 580.000 EUR, budget dérisoire, ce premier film, financé grâce à iFeatures, un programme d’aide géré par le BFI et BBC Films, est un bijou sec, tiré au cordeau qui contrecarre une fois de plus l’assertion débile de Truffaut.

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Un couple créatif

Le jeune William Oldroyd avant plusieurs courts-métrages, dont Best (2014), primé lors du Festival Sundance Channel Shorts de Londres, a été metteur en scène de pièces de Shakespeare, Ibsen, Beckett, Sartre et Donizetti au sein du Young Vic Theater de Londres et à la Royal Shakespeare Company (RSC). En 2004, à 23 ans, il a assisté son mentor, Deborah Warner, influencée par la pratique des quakers, sur la superproduction Jules César, créée au Barbican Centre, à Londres. Il n’est donc pas étonnant que la direction d’acteurs soit dans le film impeccable. La scénariste, Alice Birch a été dramaturge pour la Court Royal et l’idem RSC. « La relation entre les personnages et leur environnement m’a fascinée. Ce dernier est intégré à leur monde : la bruyère, les collines, les landes, la rivière sont tous des éléments vitaux qui évoluent au fur et à mesure que Katherine prend conscience de son existence et développe ses sens » indique la scénariste qui a soigné un final féministe sidérant, très différent du livre dont le film émane.

Du grand Will, le metteur en scène emprunte lointainement au Macbeth pour la trahison, le meurtre, la perfidie, la femme à poigne, déterminée et la folie, aux rebelles Hedda Gabler (1891) ou Nora dans Une maison de poupée (Et Dukkehjem, 1879) se révoltant contre le patriarcat chez Henrik, au silence et à l’absurde chez Samuel. Et ici aucune impression de théâtre filmé !

Séminal Leskov

En 1847, Les hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) d’Emily Brontë, filmé de façon peu convaincante en 2011 par Andrea Arnold et où joue déjà Paul Hilton en Mr Earnshaw, exalte, au milieu de la lande écossaise, l’amour passionné de Catherine Earnshaw pour Heathcliff. En 1857, Madame Bovary de Gustave Flaubert, en procès face à Pinard, était une femme malheureuse engoncée dans les conventions. Alors que Jane Austen publiait, un maître, bien oublié mais de retour en grâce actuellement, de la facture de Gogol, de Dostoïevski (le texte a été publié dans la revue Epoch de Fiodor et son frère) ou de Tolstoï, Nikolaï Semionovitch Leskov (16 février/4 février 1831, Gorokhovo – 21/02/1895, année de la création du cinéma, à Saint-Pétersbourg), écrivain, conservateur au même titre que Gontcharov, et journaliste, éditait en 1865 La Lady Macbeth du district de Mtsensk. Les thèmes abordés sont la soumission des femmes dans la société, la vie dans les communautés rurales, inspirées des contes oraux populaires ou skaz, et la passion interdite. L’histoire originale avait été adaptée en opéra russe en quatre actes par Chostakovitch en 1934, classé par Staline, tout comme l’œuvre originale de Leskov, comme « ennemi du peuple » (film de Toni Bargalló, Lady Macbeth of Mtsensk, 2002). Si Andrzej Wajda l’adapta au cinéma en 1962 (Lady Macbeth sibérienne, Sibirska Ledi Magbet), il y eut notamment deux films, Katia Ismailova (Podmoskovnye vetchera) en Russie en 1967 (Mikhail Shapiro) et en 1994 (Valeri Todorovski) mais aussi Ledi Makbet Mtsenskogo uezda (l’azerbaijanais Roman Balayan, 1989), le tchèque Petr Weigl (Lady Macbeth von Mzensk, 1992) et déjà en 1927 par Cheslav Sabinsky (muet). 1928 vit la sulfureuse création de L’amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence où une femme, Constance, redécouvre l’amour et le bonheur avec un garde-chasse, un homme extérieur à son milieu. Souvenons-nous de la belle adaptation de Pascale Ferran (Lady Chatterley, 2006) avec la révélation de Marina Hands, fille de la claudélienne Ludmila Mikaël, et le toujours impeccable Hippolyte Girardot.

Adaptation clinique

Ici la Russie d'Alexandre II (abolition du servage, réforme de la justice, de l'administration et de l'enseignement ; la capitale, Saint Pétersbourg, est en ébullition) est transposée en Angleterre du nord, à Lambton Castle, château datant du début du XIXe, ère victorienne, décidément très inspiratrice, vers Chester, déjà utilisé pour la série Bienvenue au paradis (The Paradise, 1992), près de l’université de Durham où Oldroyd fit des études de théologie et de théâtre, après un an d’école d’art. Northumberland est une région sauvage des Îles Britanniques.

La mariée de 19 ans est comprise dans l’opération immobilière organisée par Boris (Christopher Fairbank, Nic dans Batman, Tim Burton, 1989 ; Chasseur blanc, cœur noir, White hunter black heart, Clint Eastwood, 1990 ; Murphy dans Alien 3, David Fincher, 1992 ; Mactilburgh dans Le cinquième élément, Luc Besson, 1997 ; The broker dans Les gardiens de la galaxie, Guardians of the galaxy, James Gunn, 2016), le père méprisant, grincheux et autoritaire avec son fils Lord (Paul Hilton, Dr. Faustus dans Doctor Faustus, Matthew Dunster, 2012 ; Duke Octave dans Klimt, Raoul Ruiz, 2016), taciturne, alcoolique, sinistre, dédaigneux (voir Jeanne d’Une vie de Maupassant adapté, de façon controversée, récemment par Stéphane Brizé, 2016 avec Judith Chemla, Jean-Pierre Darroussin et Yolande Moreau), distant, méchant et violent : « Achetée pour un lopin de terre sur lequel pas même une vache ne brouterait ». « La nuit du mariage, c'est noir, quand Katherine est humiliée sexuellement par son mari, c'est la nuit... J'ai voulu jouer sur le contraste. Dans ce monde victorien très austère, le sexe devait aussi être viscéral. » déclare le metteur en scène. Les deux hommes se haïssent ; ils sont entourés de domestiques dont ils ignorent l'existence. Le décor est planté.

Le mari interdit à sa nouvelle femme de sortir de nouveau, cheveux au vent, de leur demeure, sur le « moor », la lande filmée en caméra à l’épaule en grand format inconnu, le 2:39. Il refuse de la toucher (après ordre de déshabillage sans effeuillage, il se masturbe devant son corps nu, de dos, avec son gros popotin et son en hors champ) : fort marrie, elle est complètement isolée. Le climax du patriarcat. Las !

British humour : un chat laid contemple Katherine attablée ou alanguie à la place de la précédente femme, probablement antipathique et désagréable, dans ce manoir tendance Manderley, froid comme une de Winter, dans Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940 d’après le roman de Daphné Du Maurier, 1938) ; le vieux prêtre du comté, vient visiter la jeune femme et lui demande si son beau-père ne lui manque pas trop ; « Que nenni ! » répond-t-elle du tac au tac après la fringale de la bagatelle (« J'aime l'idée d'une séquence coupable », s'amuse le metteur en scène); Katherine s’occupe de son sévère beau-père, continue à prendre son thé comme si de rien n’était, tandis que des cris de détresse sont perceptibles devant une servante médusée ; quand elle se met à chevaucher son amant devant son mari, les bras nous en tombent – Buñuel aurait adoré ! Elle boit du vin à grandes gorgées jusqu’à épuiser les réserves et consomme ses désirs sans demander la permission à personne et sans le moindre scrupule. Le spectateur sait, il devient complice et voyeur. Pire, si le tabou de l’assassinat d’un enfant est levé, le meurtre d’un animal nous touche paradoxalement plus que celui d’un humain. C’est la force du film : « Ce qu’elle fait est mal mais, malgré tout, le spectateur ressent de la sympathie pour elle et veut qu’elle réussisse » souligne Florence Pugh. Empathique à l’insu de son plein gré, le spectateur assiste pas à pas à la fabrication et à la naissance d’un monstre, la mariée qui n’était pas en noir, en passant de victime à coupable avec son visage poupin et son regard impertinent, sombre presque hautain avec une pointe d’ironie, errant au loin derrière la fenêtre. Elle répercute les mêmes ordres que son mari (« Debout, face au mur ! ») osait lui donner tant sur les serviteurs, dont le palefrenier (le musculeux Cosmos Jarvis, MI-5 Infiltration, Spooks : The Greater Good, Bharat Nalluri, 2015), obsédé par les femmes, qui mène un jeu rustre et pervers sur Anna dans l’écurie, pour affirmer son autorité et imposer sa hiérarchie, que sur la servante métisse exploitée, même si la maîtresse lui ordonne de manger à la même table pour lui tenir compagnie. Elle se révèle manquer de conscience sociale, ce qui deviendra un atout, et de moralité - égoïste en outre. C’est finalement la soumise Anna (Naomi Ackie, actrice dans les séries Docteur Who, Doctor Who, 2015 ; The Five, 2016), devenue muette, qui sera la victime du patriarcat, du pouvoir (rapport maître/esclave au centre du roman de Leskov). La servante ne prend même pas la peine de se défendre lorsqu'elle se voit accusée, consciente que sa condition en fait une coupable idéale. Ceci dit, effrayée par l'audace de sa maîtresse, elle regarde par le trou de la serrure ses ébats. Personne n’est innocent, juste des personnes plus coupables que d’autres dans un monde clos et figé.

La révélation Pugh

Sœur des jeunes acteurs Toby Sebastian, Arabella Gibbins et Rafaela Pugh, la Pugh fit des études à Oxford, tout en apparaissant dans des pièces jouées au North Wall Theater (Oxford). Oldroyd avait repéré celle qui a « beaucoup d’instinct et une excellente technique », la comédienne de 19 ans en 2014 dans The Falling, de sa compatriote Carol Morley. Elle y jouait une écolière rebelle menacée par une mystérieuse épidémie dans les années 1960. Elle a été nominée dans la catégorie du meilleur espoir féminin au BFI London Film Festival Awards. Plus récemment, Florence Pugh a rejoint le casting de la série télévisée Marcella avec Anna Friel et Laura Carmichael. Elle va apparaître en catcheuse british, devenue star aux Etats-Unis dans Flirting with my family (Stephen Merchant, 2018).

Travail d’équipe

Mise en valeur par de longs plans-séquences, souvent fixes et en plans serrés, parfois répétés (scènes reprises exactement du même point de vue : par exemple, au moins quatre fois, nous voyons la servante Anna entrer dans la chambre de Katherine exactement de la même façon), la photo d’Ari Wegner (beaucoup de courts-métrages et quelques films dont The Tragedy of Hamlet Prince of Denmark, Oscar Redding, 2007), clinique à la scandinave (les tableaux mélancoliques de Vilhelm Hammershøi) et jouant sur la symétrie, oscillant entre De la Tour, le Caravage pour le côté canaille sournois, et Vermeer, est superbe. Les tons gris et froids contrastent avec le bleu de la robe, telle une corolle de pétales alanguie et fanée.

Jacqueline Abrahams, la chef décoratrice avait travaillé sur The lobster (Yorgos Lanthimos, 2015) et La dame en noir 2 : L'ange de la mort (The woman in black 2 : Angel of death, Tom Harper, 2014). « Nous avons utilisé des pièces d’époque autant que possible et nous nous sommes procurés des tissus et des imprimés un peu partout, dans des collections de costumes, des boutiques vintage et des magasins d’antiquités » détaille Holly Waddington, chef-costumière dans deux films de Mike Leigh (Happy-Go-Lucky, 2008 ; Another year, 2010) et de Steven Spielberg, Lincoln (2012 avec Daniel Day-Lewis), et Cheval de guerre (War horse, 2011).

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La musique est quasi absente, ce qui est fort agréable. Le travail du son est centré sur le silence total ponctué par les bruits quotidiens, le frou-frou de la robe bleue devenue celle d’une femme libérée et triomphante, quoique menteuse et répondant avec des répliques cinglantes. Le bruit du vent de la lande devient obsédant. Un film à savourer d’autant qu’il ne dure que 89mn (1h29), nous épargnant tous ces longs longs-métrages de plus de deux heures. Comme quoi, il est possible de tourner un bon film court avec peu de moyens. Les festivals ne s’y sont pas trompés tant les prix pleuvent : meilleur film au Festival de Cinéma Européen des Arcs 2016, au San Sebastián International Film Festival 2016, au Thessaloniki Film Festival 2016 et au Zurich Film Festival 2016, meilleur metteur en scène au Palm Springs International Film Festival 2017, meilleure actrice pour Pugh au Dublin Film Critics Circle Awards 2017, etc.