Elke Erb, Sonance par Tristan Hordé

Les Parutions

22 juil.
2022

Elke Erb, Sonance par Tristan Hordé

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Elke Erb, Sonance

L’Ours blanc est une revue publiée à Genève, à publication irrégulière et à pagination variable. Chaque livraison est consacrée à un(e) seul(e) auteur(e), avec une notice biographique et bibliographique dans un cahier central. Elke Erb (née en 1938) n’a pour l’instant été publiée en français que dans des revues ; les poèmes traduits par Vincent Barras sont extraits de pages continues de Sonanz (2019, d’abord en 2008).

 

Une remarque liminaire de l’auteure porte sur la composition des textes : ils sont écrits à partir de « notations de cinq minutes », rédigées pour l’essentiel entre l’été 2002 et mi-juillet 2005. Au moment de la reprise du manuscrit et de sa mise au net, elle s’est aperçue que ces « suites de mots semi-automatiques » avaient permis de faire disparaître des inhibitions et s’organisaient en thèmes « existentiels tout autant que théoriques ». À trois exceptions près les vingt-huit poèmes retenus, de longueur inégale (aucun ne dépasse la page) sont titrés.

 

Dans la brume du matin on distingue des éléments du paysage sans pouvoir à coup sûr les identifier, il faut attendre pour nommer des formes trop incertaines : la lecture de Sonance produit un effet analogue, ce n’est qu’après plusieurs lectures que des lignes se dégagent. On repère des liens d’un texte à l’autre, des répétitions, des reprises de thèmes, des jeux phoniques bien restitués par le traducteur (« lisière/clairière », « siège, piège »). Rien jamais qu’on puisse qualifier   d’incompréhensible, simplement le sens n’est pas "donné", et ne peut l’être, ce qui surgit des premières notations, avant réécriture, portant beaucoup sur le passé. Des lieux, des moments viennent en effet des jours de l’enfance, du passé « depuis longtemps maintenant ». On pense par exemple à l’image du père, à celle de l’enfant dans le giron de la mère (« le regard qui élève de la mère »), de l’adolescent ensuite (« Mansarde d’étudiant »).

De cette « vie vécue » s’imposent dans le présent l’image du chat « miaulant encore à peine », celle du poulet qui court et « regarder le rattrape », et il y a aussi le ruisseau, le canard sauvage, la haie, l’herbe, peut-être le grand piano. Ce qui se maintient de ces jours lointains au gré des notations n’évoque pas beaucoup le temps de l’innocence qu’on attribue, souvent faussement, à l’enfance. Ainsi, à côté de l’animal plutôt lié au zoo (la girafe), les oiseaux nommés, en dehors du merle, symbolisent rarement la quiétude (corneille, pie) et la colombe présente est aveugle. Cette enfance à peine esquissée est traversée par la peur, la destruction, la mort ; les allusions abondent, parfois en même temps énigmatiques et claire, comme l’ « effroi » d’imaginer ces « nuques qui craquent »  dans l’armoire, parfois masquées par le recours à une autre langue pour l’exprimer : Elke Erb cite Shakespeare pour évoquer la mort, « come away, come away, death / (...) fly away, fly away, breath ». On ajoutera que les verbes relatifs à la fuite (courir, s’échapper) accentuent le sentiment d’insécurité. Tout concourt à « un peu répéter secrètement la peur de l’enfant » — rappelons que Elke Erb (née en 1938) a connu la guerre dans son enfance.

 

Le temps présent n’est pas à l’abri d’aspects peu engageants. Dans la société de consommation vivent aussi « les exclus, ceux qui ne sont plus, plus guère entendus » et, dans les bureaux, les employés sont exploités. D’autres images, peut-être anciennes, seraient liées à la guerre et à ses suites (« villages abandonnés », « parc à ferrailles »). Il est souvent difficile de distinguer présent, passé et construction de l’imagination ­: comme l’écrit Elke Erb, « je joue / avec des parties du temps », parties qui se mêlent et se confondent. À la suite d’une description du myosotis et de la nigelle de Damas, l’un et l’autre bleus, elle note que leur nom « surgit un peu à la mémoire devant eux, ici ».

 

Le remuement qui s’opère dans le temps par ces notations laisserait le lecteur devant un vide s’il ne retenait que certaines remarques, comme « Pas d’avant pas d’après (...) un exclusivement maintenant » ; il rencontre aussi des notations qui, rejetant toute métaphysique s’attachent à la vie telle qu’elle est : « Avant cette plante il y a non elle. / Graine, germe. Pousse, feuille, branche, fruit. »

Donc, ce qui est à retenir, « C’est ainsi, c’est » et la récurrence de « Ça, on ne le sait pas ». Leçon poétique de matérialisme ...

 

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