Dictionnaire Max Jacob (coll.) par Tristan Hordé

Les Parutions

15 avr.
2025

Dictionnaire Max Jacob (coll.) par Tristan Hordé

Dictionnaire Max Jacob (coll.)

 

 

Beaucoup de revues consacrent depuis longtemps des livraisons entières à des écrivains. Dans le passé, on relève par exemple qu’en 1924 Les feuilles libres dans un numéro illustré par Picasso, Klee, etc. rendait hommage à Léon-Paul Fargue, né en 1876 comme son ami Max Jacob qui, lui, eut un hommage dans Le Disque vert dès 1923 et, plus récemment, deux fois son portrait en couverture de la revue Europe (avril-mai 1958, mars 2014)1. À côté des revues, indispensables pour la diffusion d’une œuvre, sont édités récemment des dictionnaires affectés à des écrivains : aujourd’hui, le volume Max Jacob suit un ensemble paru au gré des propositions d’universitaires (Rimbaud, Hugo, Balzac, Gide, Colette, et pour les modernes Breton, Malraux, Barthes, Char). Le résultat est un volume qui entend tenir compte de tous les aspects de l’œuvre, publiée ou inédite, de la création à la réception, et de ce qui l’entoure. On lira des notices sur les revues auxquelles il a proposé des écrits, les galeries où il a exposé, sur tous ceux qui ont compté pour lui ou ont écrit à propos de tel livre, et sur tous ses correspondants ; les articles thématiques sont nombreux, beaucoup attendus (homosexualité, image, poème en prose), d’autres moins (commerce, surnom) ; chaque notice est suivie d’une bibliographie. On en lira 424, rédigées par plus de 70 contributeurs et il faut ajouter une bibliographie des œuvres et la liste alphabétique des entrées.

 

L’ambition des éditeurs qui ont rassemblé ces matériaux était de rendre compte de l’abondance des études jacobiennes depuis la disparition du poète et, ainsi, de marquer son importance dans la littérature du XXe siècle ; cela impliquait de s’attacher à la diversité de ses activités : poète, conteur, romancier, il a écrit des méditations religieuses, des lettres fictives, sans oublier de rendre compte de son énorme correspondance et de son œuvre de peintre. Il a participé aux débats esthétiques des années 1900-1920 ; de Jarry à Reverdy, qui lui ouvrit sa revue Nord-Sud, il a connu les créateurs de cette époque et a participé à un bouillonnement intellectuel intense. Proche de Picasso, il passait quotidiennement dans son atelier au Bateau Lavoir et le peintre lui a présenté André Salmon et Apollinaire ; c’est ce dernier qui a publié en 1905 ses premiers poèmes dans sa revue Les Lettres modernes, d’autres dans Les Soirées de Paris en 1914, et Max Jacob a dirigé en 1917 le chœur des Mamelles de Tirésias ; M. Lugan (article "Petites revues") note qu’« Il est probable que la rencontre de Salmon et d’Apollinaire (…) ait été, pour Max Jacob, un trousseau de clés précieux ». Grâce à   ces premières rencontres, puis à la publication du Cornet à dés en 1917, Max Jacob acquiert une place particulière parmi les poètes à l’aube du surréalisme, place que le lecteur reconstruira au gré de la lecture — par exemple, il apprend qu’Aragon admirait et pastichait Le Cornet à dés pendant la guerre, avant de lui rendre hommage en 1920 dans Anicet ou le panorama (voir article Surréalisme).

 

 L’ordre alphabétique émiette évidemment les informations, mais il est aisé de circuler dans le volume, les éditeurs ayant multiplié d’un article à l’autre les renvois. Le choix, ici, de l’article Léon-Paul Fargue, tient au fait qu’il a écrit très justement à propos de l’œuvre de son ami dans Portraits de famille, notant qu’« on peut le tenir, avec Larbaud, pour une des signatures du fameux laisser-passer accordé à la poésie moderne »2 et Max Jacob a justement vu que Fargue « nous enseignait à sublimer la vie quotidienne et à en faire la plus haute poésie »2 ; tous deux ont d’ailleurs été au sommaire du premier numéro de la revue surréaliste Littérature. À l’intérieur de chaque article, des renvois dirigent le lecteur vers d’autres notices concernant un épisode de la vie de Max Jacob, un de ses proches, une de ses publications, un thème, un correspondant, etc. ; ici sont appelés : amitié, Picasso, André Salmon, Académie Mallarmé, surréalisme, Henri Hertz, poésie, Cornet à dés, Dos d’Arlequin, Laboratoire central, calembour, Saint Matorel, Michel Manoll. L’émiettement propre au dictionnaire a son avantage, il propose des mises en relation de notices qui ne seraient pas spontanément faites : il fallait être un spécialiste de Max Jacob pour connaître son amitié avec Henri Hertz qui n’est pas un écrivain très connu, tout comme Michel Manoll, un poète de l’"école de Rochefort", beaucoup moins lu aujourd’hui que René-Guy Cadou. Ouvrir le livre au hasard promet aussi d’heureuses surprises : on apprend que Max Jacob fréquentait Saint-Pol Roux et a séjourné plusieurs étés dans le manoir de Cœcilian, on lit qu’il a écrit un roman resté inédit, Gribouille ou Les Gants blancs, on ignorait l’existence d’un très grand nombre de revues qui ont accueilli les poèmes et proses du poète. Etc.

 

 Un dictionnaire ne s’épuise pas, qu’il soit de langue ou consacré à un écrivain, sauf ici à s’atteler à une lecture alphabétique de 750 pages de notices présentées sur deux colonnes : mieux vaut une lecture plus souple ! On dispose maintenant d’une édition, prose et vers, de l’essentiel de l’œuvre dans la collection Quarto (Gallimard, 2012), présentée par Antonio Rodriguez, l’un des collaborateurs du Dictionnaire qui a par ailleurs consacré des études au poète. C’est aussi le cas des responsables du Dictionnaire, Alexander Dickow, universitaire aux États-Unis, et Patricia Sustrac, responsable de la publication des Cahiers Max Jacob ; tous deux ont largement nourri les notices et établi une précieuse bibliographie. Ce monument d’érudition à peine publié, ils travaillent à réunir et présenter la correspondance de Max Jacob avec les écrivains de l’"école de Rochefort", mouvement né en 1941. Gageons que ce nouveau livre retiendra l’attention de tout passionné d’histoire littéraire.

 

1 D’autres revues ont depuis longtemps consacré une livraison à Max Jacob, comme Simoun (publié à Oran) en 1956 ou, pour le centenaire de sa naissance, La Revue des Deux Mondes en 1976.

2 article Fargue, P. Loubier, p. 287.

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