Le Centre de la France d'Hubert Lucot

Les Parutions

15 févr.
2006

Le Centre de la France d'Hubert Lucot

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C'est un roman qui ne se lit pas comme un roman mais s'éprouve tout court et tout long ; presque jamais il n'enchante, il tient toute émotion à distance par volonté de rigueur ET QUOI ENCORE ?!
IL D…CIDE DES BOUCLES DANS L'ESPACE ET LE TEMPS.
CAPITALES.A peine bouclé, il contraint à recommencer, c'est aussi un livre sur la Capitale et les mots qui passent et la lecture.
Il avance des preuves de l'intensité d'une recherche tendue vers et par le Vrai, (donc absolument moderne), ce qui explique qu'écrit en 1989, il ne nous soit accessible qu'aujourd'hui.
C'est un monde que ce livre.
Si bien que l'on peut écrire à peu près n'importe quoi à son propos, ce sera mieux que ça ne saura.
Infini et troué de noir, de blancs, ce livre sera pour qui vivra et verra.
Non comme Seurat.
Plutôt comme vit et voit le magnifique petit livre sur Cézanne

Le noir et le bleu d'Hubert Lucot

publié en même temps par Catherine Flohic.
Vite, envoi.
L'histoire que compte le narrateur (Hugues Boucot, petit boucan qui rapproche l'auteur Lucot d'un autre H. B., Henri Beyle, avec lequel il entretient depuis sa naissance en 1935 des correspondances non baudelairiennes), est celle banale d'un adultère à caractère incestueux ; H B en est le héros baiseur et l'historien balaise. Pénétrant (!) dans ses représentations de la Révélation sexuelle, pour l'un et l'autre des amants ; il renouvelle la langue des ébats charnels dans des termes crus et savants.

Pénis ou vagin ne GO€TENT pas la chimie du corps étranger dont la saisie, plus subtile que pesée mécanique, s'assimile à une analytique et synthétique plongée dans la substance immatérielle.

Et le trouble du jeune amant peut s'écrire dans les termes de celui qu'éprouve parfois le lecteur :

...je ne saisissais qu'intense lumière blanche correspondant à peur noire.

HB dresse en même temps le portrait féroce, drôle et parfois ingénu, d'un milieu qui pour être celui de la "petite-bourgeoisie intellectuelle et du spectacle", n'en est pas moins "répressif". Fresque classique, donc. Néanmoins déconcertante, fragile, tendue.
Parce que le narrateur revient sans cesse sur les fictions que provoque cette fiction, celle de chacun des amants, celle que se raconte et raconte le mari lorsqu'il apprend la liaison, celle enfin que se racontent les parents du narrateur.
Parce que Lucot ne cesse de dégager des formes, des connexions entre elles, des trames, des questions, des rapports, des volumes, des verticales et des tangentes, des outils et mieux même : des élans qui fixent le lecteur dans un piétinement plein de piété, un surplace méditatif.

...je n'exprime pas mon sentiment présent mais l'objet passé tel qu'il garde en moi sa présence, associée à l'idée du temps, précise et incertaine : ...double violence de la représentation (un objet est) et du temps ...

Dans un entretien avec Didier Garcia (n°45 du Matricule des Anges ), l'écrivain (mais il a raison de préférer à ce terme celui d'artiste), imagine son lecteur comme un psychanalyste capable de lui révéler quelques secrets sur son inconscient. Et il est vrai que le (grand) art de Lucot consiste à laisser flotter l'écriture tout en la resserrant, comme sexuellement ouverte à tous les lapsus et ratages par quoi celui-ci (son inconscient) serait censé se manifester. Laissant un lapsus né au cours de l'écriture, il peut le marquer d'un SIC, il peut tout aussi bien ne pas vouloir le remarquer, intention toute scientifique. C'est ainsi que le stendhalien qu'il est commet une faute (!) sur Mme de Rênal, orthographiée à plusieurs reprises ainsi : Mme de Rénal, renvoyant ainsi peut-être la femme adultère à ses reins de maîtresse mieux qu'à ses rênes de grande initiatrice. On trouve aussi un allitement qui, avec ses deux L, évoque un allaitement, blanc tiré par du blanc pour chanter sa fine musique.
On pourait aussi révéler à Lucot que le fameux pied du Frenhofer de Balzac, dans lequel se reconnut Cézanne, se cache peut-être dans le talentueux métonymique talon de cette phrase, p. 334 :

...je me voyais attaché à son dos, à ses fesses, l'accompagnant ainsi au long du temps long.

Cela répondrait peut-être aux appels de l'Artiste mais ce serait une bien prétentieuse entrée par l'infiniment petit de ce livre infiniment Grand, de ce poème romanesque (ou roman par méditations) qui souvent débouche, débouCLE sur quelque date ou signe capital ...

FRUSTRATION, elle aussi fondamentale en ceci qu'elle constitue l'ordinaire des jours

et toujours se relance et sera. Comme le désir.
Le commentaire de sitaudis.fr éd POL- 2006
445 p.
v24 €
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