Leçons de choses de Hervé Brunaux par Lambert Castellani

Les Parutions

21 janv.
2012

Leçons de choses de Hervé Brunaux par Lambert Castellani

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D’après Wikipédia, la leçon de choses est un principe éducatif théorisé à la fin du XIXe siècle et consistant à partir d'un objet concret pour faire acquérir à l'élève une idée abstraite (Ça n’est certes pas la phrase la mieux tournée du monde, mais c’est quand même bien Wikipédia ! Pourquoi n’y a-t-il pas Sitaudis sur Wikipédia ? Pourquoi y a-t-il eu débat autour de la présence de Sitaudis sur Wikipédia ? Pourquoi a-t-on considéré la présence de Sitaudis sur Wikipédia comme relevant d’une publicité ? Pourquoi cette digression ?)
En bon élève, j’ai lu les Leçons de choses d’Hervé Brunaux. J’aurais pu les apprendre par cœur et même les réciter, mais le cœur c’est démodé, et réciter ça ne sert à rien. D’ailleurs je me demande bien à qui j’aurais pu réciter les Leçons de choses d’Hervé Brunaux.
C’est un petit livre agréable au toucher, c’est écrit gros et il y a plein d’images, ce qui en fait l’objet idéal à mettre entre les mains des élèves – ça tombe assez bien, vous l’avouerez - puisque la leçon de choses est un principe éducatif destiné à faire acquérir à l’élève une idée abstraite à partir d’un objet concret.
Hop, un bon point, Monsieur Brunaux !
Dans les Leçons de choses d’Hervé Brunaux, toutes les semaines sont une semaine comme des autres, sachant qu’une semaine comme une autre est une autre semaine, et toutes les semaines commencent légèrement dans les fleurs avec les petits animaux, parce que la nature est calme, belle, et que douce est la campagne bergeracoise. Le chevreuil arrache des languettes d’écorces au petit cerisier, la question est de savoir si le framboisier va se remettre du gel de février. Trois petites coccinelles rouges se sont posées sur le sac de terreaux.
Mais si les vendanges ont dix jours d’avance, c’est à cause du réchauffement climatique. C’est un vigneron qui le dit. Ces gens là savent.
Alors ça se complique : pas si déconnectée, la campagne bergeracoise ? Elle aussi doit subir la folie du monde ? Même les fleurs et les petits animaux ?
Parce que c’est ainsi que se poursuivent les semaines d’Hervé Brunaux. Exit, les deux blaireaux qui croquaient des noisettes sous le noisetier, beubye les orties qui macèrent dans le vieux seau en fer trouvé chez le grand-père…Direction l’Afrique de L’Ouest et ses pirates menaçants, l’Océan Indien et ses bateaux filant à toutes vitesses, leurs occupants brandissant lance-roquettes, fusils d’assaut, pistolet mitrailleurs… En route pour les rues de Rangoon, celles de Mexico, où un homme, la quarantaine, les yeux barrés de chatterton, torturé, étranglé, abattu de deux balles, a été retrouvé sur un terrain vague, enveloppé dans du papier cadeau...
Tant pis, on n’est pas nés sous la même étoile. Et la laideur du monde humain se juxtapose à la beauté des petites coccinelles. Et la quiétude bergeracoise ne peut plus, béatement, s’auto-justifier. Le monde est à l’hyperventilation informationnelle, Homo Numericus sait, voit, veut, cille à peine, gobe à fond, dégobille. Et il culpabilise. Dans sa Dordogne chérie, la mûre qui saigne dans les haies n’est plus promesse gourmande - elle est réminiscence du prix des machettes qui a diminué de moitié au Nigéria, la demande ayant chuté depuis la campagne présidentielle marquées par les violences à répétition.
Les rythmes s’entrechoquent, une semaine comme une autre est une autre semaine, n’est-ce pas ? Les fantasmes égalitaires y laissent de la matière, et c’est matière à s’interroger. Tout ce soin pour ne pas tondre les fraisiers sauvages qui ont poussé près du puits, immédiatement mis en balance : à Bangkok, les trafiquants délaissent le marché de l’héroïne au profit de celui, plus lucratif, des méthamphétamines.
Les Leçons de choses d’Hervé Brunaux nous permettent – c’est leur fonction – d’acquérir une idée abstraite à partir d’un objet concret.
Encore un bon point, M. Brunaux !
Nous allons mourir (vous, surtout). En attendant, ça ira mieux pour certains que pour d'autres. Profitons donc de l'ombre de nos tilleuls ; il faut bien vivre.
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