Les Grands Soirs de Jean-Marc Proust par Bruno Fern

Les Parutions

15 nov.
2017

Les Grands Soirs de Jean-Marc Proust par Bruno Fern

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Ce livre est composé d’autant de textes que l’alphabet compte de lettres et, dans chacun d’eux, les verbes conjugués commencent quasi exclusivement par la lettre qui lui est associée selon l’ordre alphabétique. Voilà donc les contraintes formelles auxquelles l’auteur s’est soumis pour raconter, en 26 stations dont la longueur n’excède pas une page, l’histoire d’une relation sadomasochiste où le personnage masculin recourt aux sévices d’une « maîtresse » professionnelle au fil de séances régulières – ou presque :

 

 Dix-septième soir, 

 

Il quitte son travail, quadrille la ville à sa recherche, questionne, quémande, quête, se querelle avec un passant.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’amateur de sévices en aura pour son argent, jusqu’à l’apothéose du dernier soir que l’on gardera sous silence.

À la suite de ce récit figure un court extrait de l’un des ouvrages de Jeanne de Berg *, Le petit carnet perdu, citation qui est censée éclairer ce type d’orientation sexuelle mais, bien loin de tout réalisme, le livre de Jean-Marc Proust se situe plutôt sur un versant fantasmagorique qui rappelle parfois Les Onze Mille Verges d’Apollinaire. Tout d’abord, la contrainte choisie engendre des effets comiques en raison de la proximité sonore des nombreux verbes qui, fréquemment juxtaposés en longues séries, exercent leur emprise sur le phrasé, à l’image de la dominatrice qui « sature de coups » son client. De plus, l’excès de certains actes commis et / ou leur enchaînement rapide et / ou le fait que l’on ne sache pas toujours précisément sur quoi ils portent sont autant de procédés qui contribuent à déréaliser les scènes : « Elle l’écarte d’une bourrade, s’échauffe, écume, embraye une série de coups, écharpe, écaille, écale, écartèle, ébrèche, écrase, écrabouille, ébouillante, éborgne. » Par ailleurs, dès le titre du livre qui mêle grandiloquence et dérision, l’auteur fait indéniablement preuve d’espièglerie à de multiples occasions : « Il crève de plaisir, se consume d’amour pour elle. Elle le consigne chez lui, le charme, il casque. Elle se casse. » et il n’hésite pas non plus à jouer sur le ridicule inhérent à la plupart des situations dans lesquelles se retrouve l’esclave volontaire : « Elle le fagote en Pom Pom Girl, le frise, farde, le force à s’exhiber devant sa voisine, filme, le fornique. » Une telle écriture permet de garder ses distances avec les pratiques extrêmes de cette passion au sens fort du terme : « Elle cille de colère, cligne des yeux, cingle, claironne sa puissance, le coffre, claustre, cloisonne, cogne, cisaille, lui colle une baffe, le cloue aux montants du lit, le crucifie. » et cette tonalité d’ensemble incite souvent à rire, même s’il n’y a pas toujours de quoi.

 

Pseudonyme de Catherine Robbe-Grillet, non seulement écrivain et actrice mais aussi maîtresse de cérémonie SM.

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