Li Bai, Florilège par Tristan Hordé

Les Parutions

22 janv.
2024

Li Bai, Florilège par Tristan Hordé

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Li Bai, Florilège

La collection Connaissance de l’Orient, née dans les années 1980, dirigée alors par Étiemble, connaît une nouvelle vie, avec le même titre, dans un format de poche. Sous cette forme nouvelle, elle contribue à faire connaître aussi bien la poésie et la prose chinoise anciennes que des œuvres du Japon, de l’Inde, du Moyen Orient et, plus largement, des ouvrages de la tradition géorgienne (Chota Roustavéli, Le Chevalier à la peau de tigre) ou caucasienne, ossète (Le Livre des héros, légendes sur les Nartes). Li Bai est un poète chinois né au tout début du VIIIe siècle, probablement au Kirghizistan, mort en 762. Dans son introduction développée, Paul Jacob suit les pérégrinations du poète taoïste, relève ses relations avec les puissants, note ses trois mariages, etc. On retient qu’en 745, devenu célèbre, il rencontre Du Fu (712-770), encore inconnu, sans que des liens s’établissent dans le temps.

 

Toute lecture a une histoire, celle de la poésie chinoise comme une autre. Li Bai a été traduit au XIXe siècle, dans une anthologie, par le sinologue Léon Hervey de Saint Denys, Poésies de l’époque des Tang (1862) ; il faut attendre 1985 pour la traduction par Paul Jacob d’un choix d’une centaine de poèmes parmi les 1044 édités en chinois. Ils sont classés par thèmes, ce qui permet au lecteur de les rapprocher de ce qu’il connaît (l’amitié, la femme, le pays de l’ivresse, les monts et les eaux, dans le siècle, divers), thèmes eux-mêmes partagés, par exemple pour "la femme" : une épouse, courtisanes et dames de cour, attente et solitude, filles de la campagne. Le traducteur a voulu restituer quelque chose de l’esprit de la métrique de ces poèmes en utilisant deux vers traditionnels français, le décasyllabe et l’alexandrin ; la forme ancienne de la poésie chinoise retenait heptasyllabes et pentasyllabes, avec rimes ou non, et la poésie de forme nouvelle « qui s’impose à l’avènement des Tang », différente, « exploite trois formes de poèmes isométriques », dont Li Bai ne suivait pas strictement les règles, préférant la forme ancienne.

Le lecteur lit donc cette anthologie avec en mémoire une partie de la poésie française, avec le plaisir de rapporter tels vers de Li Bai à une tradition familière. Par exemple, dans l’ensemble "Attente et solitude", quand on isole ces deux vers :

 

                       Quand tu languis de ton retour futur,

                       Au même instant j’ai le cœur qui se broie

 

Rien de plus classique dans la poésie française, plus largement occidentale. Cependant ces deux vers sont intégrés dans un sixain ("Pensées de printemps") où apparaît une autre tradition :

 

                       L’herbe de Yan semble de fils d’azur ;

Le rameau vert du mûrier de Qin ploie.

Quand tu languis de ton retour futur,

                       Au même instant j’ai le cœur qui se broie.

Vent de printemps qui ne m’êtes pas sûr,

Que faites-vous dans ces rideaux de soie ?

 

Il faut lire les notes relatives aux « herbes de Yan », au « mûrier de Qin » et aux « rideaux de soie » pour saisir les liens propres à une autre tradition poétique. L’essentiel est (serait) de ne pas lire Li Bai comme s’il écrivait en l’an 2000 à Paris. D’autres allusions sont plus complexes mais imaginons un lecteur Chinois lisant aujourd’hui une traduction de Villon ou de Chrétien de Troyes.

 

Les écarts culturels n’empêchent pas de lire cette anthologie de Li Bai. On recourt aux notes, précises et claires, elles donnent aux poèmes une épaisseur qui aurait pu ne pas être perçue : ainsi, tel poème lu avec un contenu simplement amoureux est à comprendre dans un contexte religieux. Les explications apportées par Paul Jacob aident toujours à multiplier les lectures, analogues à une pierre jetée dans l’eau à partir de laquelle se multiplient les ondes.

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