Past Time Paradise, de Frédéric Khodja et Jacques Sicard par Christophe Stolowicki

Les Parutions

16 avr.
2025

Past Time Paradise, de Frédéric Khodja et Jacques Sicard par Christophe Stolowicki

Past Time Paradise, de Frédéric Khodja et Jacques Sicard

 

 

Les couleurs s’engendrent de leurs impensables oppositions, expositions à la lumière, au caractère, au sentiment. Celui du beau, celui du baume sur la plaie. Quand c’est à l’encre de couleur que la coulée se fixe, du turquoise au violet, de l’ocre jaune à l’ogre des couleurs qu’est présentement l’orange, un entre-deux du spectre accédant ici à la primeur, l’autoportrait de Frédéric Khodja dont de page en page les abstractives figures se succèdent importe moins que ce hard bop renouvelant le jazz des papiers découpés de Matisse, au rythme des intercalaires vives sur lesquelles Jacques Sicard a inscrit, plutôt que des poèmes, ses émotions et commentaires, aussi évocateurs que descriptifs.

 

En cela cet ouvrage qui renouvelle le livre d’artiste(s) et est en soi un chef-d’œuvre.

 

Mâtiné d’or et de gueules, l’orange n’est pas une couleur de blason mais la plus contemporaine peut-être : celle d’un filtre efficace de cinéma.

 

Le titre promettant une recherche du temps perdu, à prendre plutôt par antiphrase. Sicard le sait, qui cite Proust de préférence intempestivement.

 

Les associations de couleurs si improbables, si acéphales, qu’elles en deviennent évidentes et vous hantent. Telle la bulle violette trouée d’orange qui émane, qui se déboîte, qui se détache de la tête bleue d’un homme au corps vert et la dédouble.

 

« L’Alien de Ridley Scott s’est mis à danser. Pas la danse de Nietzsche. Sublime pourtant, mais trop mystique à l’égard de la vie. L’éternel retour ? Le retour éternel des variations du même – y a-t-il ritournelle plus accablante ? La Treizième revient… C’est encor la première /Et c’est toujours la seule, - ou c’est le seul moment. Nerval s’en est pendu. » En regard d’un bouc émissaire rétréci au format d’insecte sur deux pattes, Jacques Sicard brasse à grands traits sa composite culture, sa lecture visionneuse du cinéma répondant au jazz.

 

Car la coulée se fibrille comme le jazz se suspend, inventant une relation pianistique des couleurs à cette acmé, cette coda d’un art nouveau qui culmine tragiquement au carrefour des fifties et des premières années soixante en hoquetant ses notes de contrebasse plutôt qu’en bas bourdon – en un récit second qui dédouble le piano comme à Oscar Pettiford l’octroie Thelonious Monk, à Scott LaFaro Bill Evans. C’est en regard d’une page de gauche d’un orange éclatant, au dos de laquelle se devine s’il ne se décalque le précédent commentaire de Jacques Sicard, que Frédéric Khodja décompose la nouvelle reine en une déclinaison qui court d’or en gueules, du jaune soleil ou du miel au potiron, de la brique au garance, qu’il lui oppose un bleu profond que nuance un violet insolite, cela sur un léger soubassement ou trépied de vert aussi rare que le sinople dans le blason.      

 

« La dissolution est une variante liquide, voire maritime, de la dissémination ou de la déconstruction. Elle procède par coulures, marées, empâtements pâtés de taches d’un écolier plus mécontent que maladroit – un qui aspire au Zéro de conduite [… ] Sur le plan du dessin, le corps sera fluant, libre de structure, diffracté, anamorphosé […] Ci-avant, l’œil qui fut doré a fondu, se mêlant à la bleuité du visage, donnant un vert habitable seulement par et pour la vue. »

 

La naïveté coloriste d’un Douanier Rousseau tourne à l’innocence première, seconde, tierce, quadruple et s’arrête là, en un étagement né du spectre dans le déni du tragique supérieurement tragique d’Hamlet. Toute la détresse des figures peintes réparée par l’emprise du jeu des couleurs, par la gaieté de leurs superpositions, de leurs amalgames et anagrammes.  

 

 

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