L’impassible, de Frédéric Berthet par Christophe Stolowicki

Les Parutions

25 avr.
2025

L’impassible, de Frédéric Berthet par Christophe Stolowicki

L’impassible, de Frédéric Berthet

 

La littérature, vue de profil. Une passion du roman, pourvu qu’oblique. Ou le charme indiscret de la bourgeoisie.

 

Ici une sélection d’articles de l’écrivain Frédéric Berthet (1954 – 2003), fils d’un patron de presse, journaliste dans l’âme, illustrant comme personne que le journalisme fait l’écrivain comme y échoue désastreusement, à quelques exceptions près dont la sienne, l’École Normale Supérieure.

 

Du Quotidien de Paris à l’Idiot international, en passant par le Figaroscope, de nombreux supports ont accueilli comme critique littéraire cet auteur éclectique comme peu, tout en humeurs – cette grande inconnue humorale dont il dépend que « la pointe d’humour [soit] montée en phrase, ou sertie en aphorisme ».

 

Soit un précis de dégagement, plus gai que celui de Cioran, d’un auteur attentif à la seule chose littéraire, où la tradition millénaire d’user des Juifs comme de victimes expiatoires a permis, alors que se prépare le grand massacre, à des écrivains antisémites de qualité indiscutable (Céline, Morand, Drieu La Rochelle) de tenir le haut du pavé et de sévir. S’ensuit une affinité marquée pour les Hussards (Blondin, Nimier, Laurent), qui situe Berthet clairement, malgré son amitié avec Patrick Besson, à la droite de l’échiquier, celui qui n’a qu’un nord et qu’un sud. L’humour sec mouillé dans une conspiration dont il tire son insolence.

 

Sa grande admiration pour Kafka dont il salue la parution d’un tome IV à la Pléiade (« Ainsi donc, cher vieux Franz, tout n’aura pas été complètement vain, n’est-ce pas ? » ou « le biographe ne perd jamais de vue son devoir de s’effacer devant son sujet. Pour qui a beaucoup lu Kafka et les essais parus sur lui à ce jour, le livre de David est une merveille de simplicité, d’amitié et de bon sens. Les lettres de Kafka à Felice Bauer et Milena Jesenska occupent l’essentiel de ce quatrième tome, soit plus de mille pages. Aucune ne laisse indifférent ») l’exempte de toute suspicion d’antisémitisme.

 

Point d’orgue sa nostalgie des années cinglantes où « Ce que Laurent et quelques autres ont voulu faire, c’est une défense de la littérature. L’histoire a voulu qu’à la littérature engagée a succédé le nouveau roman. À ce qui se voulait le fond a succédé ce qui s’affirmait la forme. » Sartre et Robbe-Grillet (ce grand cinéaste) pris à partie au plus creux, au plus surfait, au plus célèbre de leur littérature à l’estomac – selon la formule  de Gracq qui détestait celle de magisters. Le pédantisme à grande échelle traqué à la petite cuiller en argent (art gent).

 

Le polémique étant dit, place à la légèreté – à ce qu’on lui découvrira de tragique. Tel cet apologue d’un ton nouveau : « Ce qui est arrivé, les copains ne voudront jamais le croire. Ma mère m’a balancé, dans la matinée, dans le vide-ordure. Il y a extrêmement peu de gens qui arrivent à être balancés du 5è étage par un vide-ordures. D’abord parce qu’ils sont, en général, trop gros. […] / Les odeurs, au passage, étaient grisantes. J’ai remarqué, à hauteur du deuxième étage, une forte odeur de carottes. Je dévalais cette conduite avec tout l’enthousiasme des gens qui veulent, enfin, apprendre. »

 

De l’esprit à tire-lares & go. De l’humour dans ses deux versions, la concentrée et l’extensive, celle-ci découlant de l’autre. De dérobade en éraflure, l’humour l’image de marque de Frédéric Berthet.

    

Seul Oscar Wilde (Only excess succeeds) a fait mieux.

 

Mais le tragique, qu’il croit éteint depuis Corneille et Racine (car passé par la rue d’Ulm il fut bon élève malgré les apparences), a depuis Shakespeare plus d’un tour dans son sac. Malgré la proximité de Philippe Sollers, et ce qu’ils ont en commun d’exigence, le parcours du combattant de mondain ès lettres, accent à l’heure, à sang à l’heure bleue, cent fois fait le tour du monde, celui des nuits parisiennes (« pendant des années, rien (ni personne) ne serait parvenu à me faire rester chez moi plus d’une dizaine de minutes après la tombée de la nuit […] Dès que j’entrais dans une pièce, j’allais tout de suite vers la fenêtre, pour voir ce qui se passait dehors. […] la nuit, Paris se résumait aux dimensions d’une cour de récréation : la capitale n’était plus habitée que par quelques centaines de personnes, dont il était toujours possible de retrouver la piste »), des aller-retour Paris-New York pour s’en remettre – a sous l’emprise de l’alcool abrégé sa vie.

 

Une remarque quant au titre, L’impassible, choisi parce qu’en « stoïcien émotif » (Norbert Cassegrain) Berthet se prévaut de Marc-Aurèle : à n’accepter que par antiphrase. 

 

         

 

 

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