Paul de Brançion, Loup-blié par Tristan Hordé

Les Parutions

08 sept.
2022

Paul de Brançion, Loup-blié par Tristan Hordé

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Paul de Briançon, Loup-blié

Dans les campagnes les loups ont à peu près disparu et les rares qui restent sur le territoire doivent être protégés. On sait bien que si les renards sont toujours accusés de piller les poulaillers (ceux sans clôture peut-être), les loups sont accusés de dévaster les troupeaux de brebis (ceux sans chien pour les garder, peut-être). Plus paisiblement, les loups, pour les enfants (et les autres lecteurs,) évoquent les dessins animés et Le Petit Chaperon rouge, le conte de Perrault ou celui de Grimm, ou l’une des très nombreuses variations autour des personnages "loup et petite fille", du Petit chaperon vert (G. Solotareff) au Petit chaperon bleu (C. Pollet), du Loup sentimental (G. de Pennart) au Loup de la 135e (B. Dautremer) transposé à New York avec cette fois un petit garçon, un grand-père et un loup qui prend le métro. La figure effrayante du loup appartient bien au passé, oubliée pour reprendre le jeu de mots de Paul de Brançion — — un peu facile mais de ceux qu’on pratique à l'école.

Le loup mis en scène ici ne veut de mal à personne. Chassé de son territoire par la vie "moderne" puisque, notamment, les touristes envahissent même les forêts, il est venu dans la ville et, comme les humains qui y vivent, il affronte une circulation intense et les bruits incessants qui l’accompagnent. Il lui est quasiment impossible de dormir mais, heureuse compensation, la nourriture est abondante :

 

                       (...) j’ai mangé
                       dans les poubelles des beaux quartiers

                      on jette beaucoup de par chez vous
                      mais de cela je n’me plains pas
                      ma panse est pleine de jolis plats

 

Le procédé n’est pas nouveau mais toujours efficace pour les lecteurs, enfants ou non, pour rappeler qu’en 2022 la société française, bien peu écologique, jette trop de nourriture dans les poubelles. La ville est aussi pour le loup qui s’y est réfugié un lieu avec « les cris, les coups, les hurlements », ; il observe la violence incompréhensible contre des manifestants poursuivis par « les grands messieurs bardés de noir ». Le loup finit par rencontrer un « vieux renard » qui l’emmène à l’abri dans l’endroit calme où il s’est installé, le parc d’un ministère qui est à l’opposé de l’orée de la forêt « avec la meute / des sans -logis, des délaissés ».

Mais où est passé le petit chaperon rouge ? Elle est bien là, sous le nom de Petite Roulotte avec un bandeau rouge sur la tête, et elle comprend qu’elle n’a rien à craindre d’un loup qui parle et qui lui explique les raisons de la quasi disparition de son espèce. Qui ajoute que, contrairement aux hommes, les loups ne tuent que pour survivre : est-ce là un signe de sauvagerie ? « la sauvagerie qu’on nous concède / ne l’est pas tant qu’on pourrait croire ». Les derniers mots du conte qui, comme tout écrit du genre, portent une leçon : le loup s’en va « sans mot sans hurlement / oubli devant dans le grand vent », laissant la petite fille dans un environnement où l’on a perdu l’idée même de "nature". Le loup quitte la ville sans lieu (le grand vent ?) où aller, les humains occupant tout l’espace.

 

La leçon de cette variation sur le thème du loup et du chaperon rouge commence dès le début de l’histoire tout en restant discrète. Elle est contée en octosyllabes (parfois boiteux) qui donnent au récit, avec quelques formes oralisées (comme « j’ai pas », « c’qu’on dit ») sa vivacité. Maurice Miette choisit de retenir du loup une silhouette ou, le plus souvent, ses yeux et sa mâchoire ; ville, brebis et petite fille sont de même schématisés, choix qui accompagnent parfaitement le texte. 

 

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