Quatre plaquettes chez Fidel Anthelme X par Christophe Stolowicki

Les Parutions

02 oct.
2017

Quatre plaquettes chez Fidel Anthelme X par Christophe Stolowicki

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Quatre plaquettes paraissent chez Fidel Anthelme X, collection la Motesta, section les Communs.
À la section des Piques ont été nommés président Robespierre, puis Sade.

Julien Blaine, Une photographe dans son cocon, 14 p., prix non indiqué.

Jacqueline Merville, Géographie indienne, 10 p., prix non indiqué.

Frédérique Guétat-Liviani, Visa, 10 p., prix non indiqué

Claude Salomon, Aux marges, 10 p., prix non indiqué.

« Je suis né au bord de l’étang de Berre / et j’ai grandi et vieilli dans un village / de la basse vallée de l’Arc. / Enfant c’était le pays des magnaneries. » Rendant un reconnaissant hommage funèbre à Françoise Janicot, l’épouse de Bernard Heidsieck et photographe attitrée des performeurs historiques, Julien Blaine en quatre vers et une ellipse ou syllepse magistrale, à bras l’accord perdu et mieux que le temps, retrouvé – célèbre la plénitude en son cocon d’une artiste qui de poésie sonore a tissé son soi, bombyx de l’yeuse. Sur un autoportrait ligaturé de ficelle le fin visage en un bâillon que perce son nez délicat, de ses doigts effilés elle empoigne une tige pour que le vers de soi s’élève papillon. Sur deux pages d’érudition d’entomologiste s’affiche une liste « Ready-written » en filiation du ready-made. Performance graphique finale, de naissance et de mort soudés les anneaux en ô de cocon à l’infini ∞.

Quand l’illettrisme sévit, réparer l’analphabétisme. En un voyage de prose nouée poème Jacqueline Merville nous conduit au plus enclavé du sous-continent indien où un jeune Lamani, d’ethnie méprisée comme sous-caste, descendant des rois sinon des dieux comme la tante de César, apprend malgré les rebuffades de ses employeurs « avec yeux noirs ?…? ce grand nouveau à lui, pour lui / tout écrire, écrire son village, écrire sa naissance ». De langue monocorde un prosimètre d’apparat – la prosodie, la scansion confiés à la bascule régulière du poème en prosaïsme, à l’alternance des caractères, l’italique élève, le gras rabat, l’écriture advient en capitales de la douleur. Pour les minuscules on verra plus tard.

Visa, celui implacablement refusé à l’ami algérien qui connaissait par cœur livresque les châteaux de la Loire – interdit de tourisme en France. Frédérique Guétat-Liviani scande de blancs (« le cerveau abrite de nombreux défunts // il faut faire de la place pour les nouveaux venus ») une élégie télégraphique de poésie verticale ainsi mise à plat, le vertical aboli en tronçons. Ou le segmentaire du deuil. Le fragmentaire celui de la mémoire de deuil sur deuil. L’œil résume abolissant la distance, en quelques brasses, entre Marseille et le Maghreb.

D’astérisques de ponctuation ou d’appel de note respire la profération rechargée à blanc, au noir, d’une implacable critique du pessimisme bourgeois de Schopenhauer à relents actuels. À mitraille de concepts le jouir, le plaisir hachés au sol ontologique. En « pièces à convictions » à rebours quelques citations dont la plus délectable est de Flaubert : L’instruction gratuite et obligatoire ne fera qu’augmenter le nombre des imbéciles. Renan pas en reste : Le grand nombre doit penser et jouir par procuration – les magazines people s’y emploient. Par le chef-d’œuvre d’un retournement rhétorique martelé l’élitisme qu’abomine et pratique la poésie contemporaine – le plus secret des temples grecs. Nous vivons aux marges dans un oxymore.

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