saison été seize, d’Emmanuel Rabu par Christophe Stolowicki

Les Parutions

15 mai
2023

saison été seize, d’Emmanuel Rabu par Christophe Stolowicki

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saison été seize, d’Emmanuel Rabu

 

Devant le dépouillement clinique de ce livre d’un deuil de mère, la perte survenue dans l’été 2016, récit poème à épisodes, anti-poème comme seule permet la poésie, au titre télégraphique, programmatique – est-ce un hasard, on se demande, s’il paraît au Dernier Télégramme ?

 

Emmanuel Rabu n’est pas de ceux qui meurent sur les saisons.

 

« J’appelle mon père pour lui souhaiter son anniversaire. Il me dit : M est à l’hôpital pour des examens. / Les résultats ne sont pas bons. C’est une tache sur le foie. / Quelques jours après : une petite tache sur le côlon. / Elle parle de la chimio, de la perte des cheveux, de ce qu’elle fera si ça arrive. / Puis elle est hospitalisée. / La durée des appels diminue – de quelques minutes où sont encore évoqués des événements du quotidien, elle passe à moins d’une minute où n’est plus évoquée que sa fatigue. »

 

Quittant Paris, il y va. « Je mets très peu de vêtements dans ma valise, quatre paires de chaussettes, un pantalon, quatre caleçons, trois tee-shirts, un sweat. / J’emmène aussi une chemise claire unie grise [un prosateur l’emporterait]. / Le TGV, et mon père à la gare, c’est la première fois qu’il est seul à m’attendre. / Puis l’hôpital. »

 

Mais entretemps, l’inouï, sur haute page blanche, de celles que dispense avec générosité un éditeur de poésie : « J’efface tous ses messages de mon répondeur, pour conjurer le sort, afin qu’ils ne puissent pas devenir la seule possibilité de l’entendre s’adresser à moi. » 

 

On a beau lire de bout en bout d’un regard égal une grande plaquette irréfutable, totalement dépourvue de l’expression de sentiments sinon un rêve, explicite, un livre où épanchement appartient à un autre univers, où épuré suppose que du pur existe, où en l’an 2023 de l’informatique de bureau prosaïsme est un mot indécemment poétisant, où la pudeur des sentiments s’assèche en avis de décès, où il y a messe dont nous est dit le prix, Dieu pis que mort, dessubstantié, où liste sur liste en vers égrènent « Point S / Super U / La Poste / Leclerc  […] » ou « CPAM, carte vitale et avis de décès / DRFIP, déclaration de succession et avis de décès, impôts / EDF, nouveau RIB / Veolia, nouveau RIB  […] // Pension de réversion, / changement de RIB », où la perte d’une mère, qui peut scinder la vie en un avant et un après, passe non comme une lettre à la poste mais comme un courrier électronique – le non-dit pèse de tout son couvercle sur saison été seize, par canicule glaciaire l’an mille d’un paradigmatique homme nouveau.

 

Cela dit. Emmanuel Rabu reste un écrivain authentiquement français. Les États-Uniens ont eu beau, pour l’essentiel, inventer l’informatique, la traduction française  prévaut de plusieurs longueurs – d’athéisme fondamental.    

 

 


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