Toute la lire, n° 3 par Christophe Stolowicki

Les Parutions

14 oct.
2018

Toute la lire, n° 3 par Christophe Stolowicki

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Insolite « revue de poégraphie », toute la lire mais on suspend le geste de l’ouvrir tant lourde de son énigme, blanc parme sourdement muet son aplat de couverture, luxueusement grenue elle se prête au palper, au soupeser, lue de nos doigts lue  – centrée égarée dans la page une minuscule figurine d’insecte oiseau dans son halo, de vivant résorbé, aplati toutes barbes dehors, émoticône d’émotion abolie, le logo des éditions Terracol reproduit par six fois en positif négatif, flanc droit flanc gauche, tant sur l’écrin qu’aux pages suivante et pénultième. Toute la lire ? D’abord s’en imprégner longuement.

 

Et dès qu’on feuillette on est saisi par son ubiquité, d’arpenteurs planétaires qu’assourdit un voyageur immobile – Philippe Jaffeux. D’entrée Christian Désagulier, d’Éthiopie (2015), de Suède (1988) fait courir pleine page ses photographies dans l’espace-temps : pierres tombales viking couvertes de runes dans un paysage urbain arboré illustrant Rad Thu (read thou), son documenté poème épique célébrant le scalde Torbjörn ; vache en regard d’un proverbe de l’ironique sagesse amhara – sur laquelle se penchera à loisir Francis Falceto (« la langue amharique [] se prête généreusement aux polyvalences, aux jeux de mots et aux perversions du sens [] “pauvre en amharique” revient à “pauvre d’esprit”»). Tandis qu’aux confins de l’ouvrage obnubilent, font sombrer le regard celles (les photographies) de Patrick Beurard-Valdoye, d’antimatière noire mate dont se détache le représenté, mer palpable, écume feutrée de pollution, l’ombre d’un rapace ; mi-partis d’ombre épaisse et d’un gris dense écrasé de soleil, des degrés de la mer entre deux parois presque ligneuses, de suprématiste géométrie. Dans l’entre-deux, cerclant plusieurs tonneaux cosmogoniques les Écritures augmentées d’Alessandro De Francesco, diagrammes d’un fond de rumeur scripturale de l’arrière-big bang.

 

Un glissement, de Philippe Jaffeux dont le jeu d’antinomies se distend, se dément, transitif en gageure, adouci à la chute, comme apaisé. Implacables de maîtrise et  de désinvolture, du théorique au concret articulant leur lâcher prise (il « aime procéder de la sorte / de la cendre à l’arbre / funambule à terre »), des poèmes de Michaël Batalla. De Leslie Kaplan le bilinguisme franco-américain qu’irrigue sa « langue perdue », le yiddish. La prodigalité de blanc que commentent, dont s’augmentent les fragments en bas de page d’Alessandro de Francesco. Adressé « poste restante / post-mortem », le récit par Sarah Carton de Grammont de ses déboires d’apprentie ethnologue dans la Russie d’Eltsine, noué dès les premiers paragraphes de la modestie superlative (« Il était une fois à peu près moi [] que nous appellerons “je” par pure convention et par commodité bien que ce soit tout à fait abusif ») qui lui vaut de tenir son rang dans une revue de poésie. Signés Christian Désagulier, centrés à cœur de pages blanches, des distiques arithmogrammatiques de comptine (« l’    o   c’est    le    r / le   l’    i    la   r    . ») annonçant la clôture de l’ouvrage.

 

 

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