CLARA par Stéphane Batsal

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

CLARA par Stéphane Batsal

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Je m’épointais les mèches au feu et les mèches au feu rouge avec la pointe de mes ongles limés puis durcis au base-coat puis vernis et mes ongles éliminaient les fourches le bout des cheveux fourchus et je rêvais comme quand on rêve en conduisant à se faire des films quand la caisse roule toute seule mais là j’étais au feu rouge et ma rêverie se prolongeait avec le mouvement de mes doigts et l’extrême attention que demandait de trancher net – et c’est là je t’ai vue là Clara dans ton rétroviseur intérieur tu étais devant dans ta bagnole et il y avait du fuel dans l’air comme en été en voiture sur l’autoroute de la ville et je me suis dit comment elle fait et comment avec des ongles aussi tranchants elle parvient à en superposer deux extrémités acérées et à faire se superposer le fil pour sectionner et voilà ce que je me disais et le côté droit de ta tête apparaissait en contre-jour incliné entre les appuie-têtes ; je voyais là l’ombre de cette action et sa représentation dans ton rétro de bagnole ton intérieur de bagnole depuis la mienne je me disais comment elle fait pour couper net et trancher – ouais c’est ça ta bagnole bleue celle dans laquelle on se BALADE en ce moment et tranquille on se BALADE parce que tu m’es rentré dans le cul et pare-choc fendu et bris de feu éclaté – non Clara chérie OH NON ÇA C’EST CE QUI VA SE PASSER APRÈS – il se marre avec ses limaces épaisses – AH AH AH je gueule aussi tu crois que je t’ai pas capté dès que je t’ai vu en rétro tu me prends pour quoi parce que c’est certainement pas pour qui (je ne l’avais vu que dans un éclair) dans le miroir le rétro dans mon intérieur de bagnole dans un éclair en reflet et je suis au feu et m’épointe les cheveux fourchus feu rouge et je vois du bleu dans le rétro du bleu de bagnole le bleu de ta voiture – il pète hein chérie – pas autant que sous l’éclat de la lune quand on s’est retrouvé sur l’éminence herbeuse enjambant le fossé à l’entrée de ton champ et tu m’as dit de sortir de ta caisse – invitée à prendre l’air – alors j’ai ouvert la portière et là tu as mis les essuie-glaces en marche au moment où les charnières de la portière glissaient l’une autour de l’une et crissait autour de l’autre et crissaient ensemble avec l’absence de patins le métal allait et venait sur le pare-brise où deux arcs flous quatre arcs flous empêchaient de voir clairement dehors ou dedans depuis dehors et le métal en frottant avait usé la surface de la vitre quatre arcs flous segmentaient la lune alors que de bosses en bosses on se PROMENAIT EN SE COGNANT dans ton chemin – mais entre temps Clara la lumière a changé et tu n’as plus été la même en rétroviseur ni en ombre et tu es devenue blonde en ombre et brune en rétro intérieur et je me suis senti trompé alors j’ai suivi ta caisse celle où il y avait le rétro avec toi dedans et je lui ai rentré dans le cul CLARA à cause de la mystification et pour évoquer ton imposture et les contes que tu m’exposes depuis ta caisse dans l’ombre des appuie-têtes des contes dans l’ombre comme quoi tu étais brune (des contes dans le noir et des contes et des coupes sombres sur ta réelle couleur de cheveux) et j’ai suivi suivi ton feu arrière gauche et je te suis rentré dans le cul parce que tout ton cinéma m’a surpris et fait perdre le contrôle – mon cinéma ; tu projettes mec (mais il s’en foutait dès que j’ouvrais la bouche il en rajoutait et on n’a pas pu faire de constat pour l’accident et puis il a dit on reviendra demain demain je te ramène ici CLARA là j’ai pas les bons outils alors je vais déjà te ramener jusque chez toi et je lui dis je te remercie mais j’y peux rien si la lumière s’est renversée et aussi : je suis blonde et je n’ai pas de problème avec) TUT TUT TUTUTUTUUTUUTU (le klaxon ou sa voix) quand on s’appelle Clara on est brune et pas blonde et quand on est blonde avec cette peau on ne laque pas ses ongles avec un vernis nude et napper de noir mat comme tu l’as fait tes seuls auriculaires ne rattrape pas la maladresse – voilà ce qu’il me dit avec les bruits de chair d’escargots écrasée que fait sa bouche et que mélangent ses lèvres et sa langue malaxe et ça me donne envie de pleurer jusqu’à l’os et en tristesse jusqu’à la moelle (je pense à son champ tout à coup à cause de la moelle et de ce qui pleure au centre des os je pense aux transports de fluides et ça me ramène à son champ noyé sous le naphte de son maïs ruisselant comme si on était au bout d’un oléoduc et que rien n’était là pour capter ce qui suinte) et je regarde mes doigts je pourrais l’étrangler avec ces doigts-là et je vois qu’ils sont assez longs pour lui serrer l’encolure et je pourrais revernir mes ongles en rouge-sang en les plantant dans sa gorge mais je ne plante rien et mes pleurs sont invisibles alors il reprend la parole : est-ce que tu te souviens pourquoi je t’ai demandé de sortir de ma caisse ; c’était pour ouvrir la gueule des lions de métal et écarter les lames de notre chemin les griffes écarter les griffes qui protègent le chemin vers mon champ de maïs et écarter les griffes pour qu’il dégouline et que puisse s’écouler l’eau saumâtre et les boues et la matière noire – et c’est vrai il m’avait parlé des lions de leur crinière serrée dans la lune mais pas du reste (les lames et en reflet les boues noires ; les griffes et le liquide épais ; le crâne fin de lapin lunaire sur fond de quenouilles dégoulinantes ; massacre ; les sommets mous des bosses essaimant des trous et des secousses aux essieux ; massacre) et surtout on n’avait pas pris le chemin de chez moi avant d’arriver dans sa clairière – les outils Clara – cet endroit devait abriter une cabane en tôles – les outils dont on va se servir demain – mais c’était juste une presqu’île avec un arbre ou deux aux sombres ramures sèches et gui et elle affleurait de son champ pourri et pas de cabane – les outils dont on va se servir ensemble pour réparer ta caisse – et pas d’outils pas de cric pas de pont à vidanges y’avait rien à abriter donc y’avait pas de cabane rien en dur rien pas d’outils – ils sont dans mon champ de maïs ils sont au frais et au clair de lune Clara alors on y passe maintenant pour récupérer les outils et je te ramène et demain on retourne à ta caisse direct et on s’en sert – il n’y a jamais eu d’outils on ne s’est servi de rien pas de cric pas de pont à vidange y’avait juste un faux mécanicien en bleu – c’était moi CLARA BABY le mécano j’espère que tu te souviens de ça : on a garé ta caisse on est parti dans ma bagnole puisque tu étais d’accord – et une fois dans la clairière j’ai vu : pas de cabane en tôles et on flottait dans la lumière froide diffusée à travers une boule de gui et la lune en entrelacs et le pare-brise aux quatre arcs flous et les bras fixes des essuie-glace allégés des balais – ben ouais faut bien qu’ils s’arrêtent un moment pour que tu te rendes bien compte de l’endroit où j’ai placé précisément la caisse dans le faisceau et comment le rebond de la lumière diaphane du massacre – TA SALOPERIE DE MASSACRE DE LAPIN – oui Clara comment le rebond de la lumière sur le crâne a guidé ton regard vers l’arrière de la caisse au-delà du bleu mou des garnitures de la bagnole et vers le pan replié au bout de la plage-arrière et le bleu en plastique de la glacière et je t’ai dit : tu vois maintenant où tu peux aller me chercher une bière (à ce moment-là j’étais debout bras tendus à quelques mètres du capot comme en appui dans le vide et si je voyais ce qu’éclairait la lune au travers du massacre je me sentais aussi baignée dans la lueur de la clairière et découpée par les phares et feux horizontaux coups de sabre dans la nuit et y’avait que le gui pour me défendre : la lune massacrait tout de sa lumière mais le gui l’estompait et je me suis dirigée vers le capot pour sortir du faisceau des phares et j’ai glissé dans la terre grasse de la clairière un tibia contre le pare-choc et me suis rattrapée mains plaquées sur capot et bras tendus et c’est là que j’ai vu le rebond du faisceau – depuis le crâne – s’accrocher aux fibres de la moquette la moquette bleue de la plage-arrière puis se concentrer sur le couvercle de la glacière et moi aussi j’avais envie d’une bière et de l’étrangler et revernir mes ongles en rouge-sang.