Le corbeau noir sur la ruine par Patrick Werstink

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

Le corbeau noir sur la ruine par Patrick Werstink

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Le corbeau noir sur la ruine

 

 

[a capriccio]

 À contre-jour en contrepoint  le dessin sur la feuille
de papier qu’on égratigne sous la plume sergent major

crisse souvent retrempée dans l’encrier de plomb

 

Table basse inclinée qui a perdue son âme de chêne et l’aube des orées vieux films noir et blanc blouse grise qui voile les lendemains

 

Le frêne de la férule s’est dissout dans une décharge

 

Nos escapades ensoleillées ne savaient rien encore du monde ni des corridors froids que traversent parfois les vies

 

Naître sera demain pour nos mains qui ne tiennent rien encore et pour nos têtes qui ne savent pas ce qui se cache dans ce qui se montre

[con forza]

Nous ignorions tout des fils à plomb savions peu les règles

[decrescendo]

Nous avons aimé des ruines et des impressions la texture de la chair se désagrège tandis que les paradis de citadelles en corbillard accompagnent des vérités trafiquées, des réalités en cagoules dans les plaines boueuses

 

Nous n’irons pas plus loin les encriers de plomb servirent de cendriers puis de lest pour les ogives de la pyrotechnique elles font pencher la balance internationale de la paix

 

De la justice, laquelle ? Travestie ? En effigie sous de la gaze ? Même la nuit n’y croit plus

 

Et les empreintes de nos désirs nous quittent nous plébiscitons le scepticisme et l’impérialisme des chaos

 

 

Même les pierres se délitent on ne peut s’appuyer sur un pouvoir minéral

 

Dans ce bouillon le roulis s’apprécie mieux les yeux fermés et l’esprit béant     attentifs nous sommes pris dans l’étau

[legato & crescendo]

     une cage d’angoisse contrefait la liberté simple lucarne vers les possibles cible des rêveurs simulacre étourdissant un gong de cuivre rêve de soleil en restant froid sans cœur de secours

[martellato]

La peste envahit la pensée comme la banlieue se couvre de béton l’ancienne campagne où Gérard de Nerval rêvait d’une compagne

[martellato ma non troppo]

On n’y voit plus d’étable son architecture s’engorge de matériaux composites tranchants la poussière des chemins s’empoisse de goudron s’étouffe de macadam

[con calore]

Nostalgie des bouses de vaches des écuries parfumées du vin qui tachait les verres d’une couleur qui dévore d’une teinte forte : celle de la vie

[ad libidum]

Seule une ombre devinée nous indique le soleil sous le bitume qui camoufle les pavés dont la rage mal contenue s’endort

 

Comme un coup de cymbale la liberté veut hurler prise dans l’étau simple lucarne le rêve s’élabore simulacre de trêve

 

Pas de tendresse le long des murs seulement la marée qui monte et qui descend affublée d’une foule de solitudes

 

 

Toujours bourdonnante la cohue aux yeux hâves dans ce bouillon se hale vers quel havre reflet d’un apaisement ?

 

On se dépouille de soi et l’on se farde de cages et d’étaux du vide des heures trop pleines de minutes stériles

 

Quand vos mains maquillées d’œuvres deviennent trop froides elles perdent la puissance de ramasser vos propres morceaux

[accentuato]

La terre à tes yeux redeviendra visible quand tu quitteras tes citadelles tes orbes de prédateur  ta marche forcée qui ne se voit même pas errer tes pensées droites qui ne se savent même pas boiter tes banalités tes obligations tes déguisements  tes fuites

 

La terre tu l’as trop longtemps oubliée faut-il pour que tu t’en souviennes faut-il que ses tumultes naturels se transmuent en naufrage ? 

 

Ton zénith se rapproche du nadir tu te proposais de le fouler par ton mépris industriel

[mezza voce]

Un jour la mer se boira dans ton crâne creux les crabes passeront devant toi porteurs d’un dédain superbe ils marcheront droit puisque seule référence de droiture

 

Tu n’auras plus d’ombre plus de lumière ta forge éteinte le creux de tes machines recouvert de terre un brin de muguet s’élèvera sourira pour personne

 

Cette impression si forte que l’absence ou le rien deviennent présence

 

 

[adagietto]

L’irrationnel devient poésie que le rythme du poème présente tel le corbeau d’Edgar Poe qui prophétise sans mérite perché sur la porte de sa voix de sage enroué 

 

L’amour vide la nature dénudée la destinée dépouillée les fleurs incultes la mort même      dépeuplée

 

L’oiseau noir devenu poète bégaie il ne trahit nul secret

 

Son ambivalence se balance d’une patte sur l’autre qui jamais ne se repose.