Pierre GUYOTAT, 1940-2020 par Christian Prigent

Les Célébrations

Pierre GUYOTAT, 1940-2020 par Christian Prigent

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16-18/05/2018 [Pierre Guyotat par le petit bout de la lorgnette]

 

LA PLUME DE GUYOTAT

Hiver 1969 :Tel Quel publie Bordels Boucherie. Jamais vu plus fort. Janvier 1972 : Littérature interdite. Guyotat y cogne sans complexe (ni trop de nuances) sur le tambour d’époque : les rapports entre la « nouveauté » formelle et l'avant-gardisme politique. 26 avril 1972 : TXT organise à la Maison de la Culture de Rennes une soirée « Guyotat, la littérature interdite ». Invités : Guyotat, Thérèse Réveillé, Henric. Guyotat débarque à la gare, où je l’attends. Passage à l’hôtel. A l’accueil, fiches à signer. Le préposé tend à l’avant-gardiste sulfureux une plume d’oie, orange vif, à pointe bic. Commentaire, mi-rigolard, mi-offusqué, de Guyotat : « pas facile d’être moderne ».

 

 

LE CHIEN DE GUYOTAT

Fin 1972, missionné par le magazine Politique-Hebdo pour interviewer Pierre Guyotat, je vais chez lui à Montparnasse. Sonnette. La sonnerie déclenche des aboiements furieux. Guyotat ouvre. A ses côtés un chien énorme, noir, griffes d’ours, baveur. Je n’en mène pas large. Guyotat, à moi : « salut ! » ; au molosse : « ta gueule ! ». On passe au salon. J’installe mon petit matériel enregistreur. Stress. Ce chien ne m’aime pas, ni mon magnétophone. Guyotat : « il nous emmerde, ce chien ». Bon mot : la bête a orné d’étrons l’appartement. Exfiltration du chien : reclus dans pièce adjacente. D’où aboiements frénétiques, que filtre peu la cloison.

Interview. Touche noire + touche rouge : miracle, ça marche. A côté : abois caverneux + grattements de griffes sur la porte, ça fera morceau d’ouverture sur l’enregistrement. Première question. Je l’ai rédigée d’avance (trop peur de bafouiller). Longue, complexe, jargonneuse, théoriquement élaborée (l’époque le veut). Réponse de Guyotat : « ta gueule ! ». C’est adressé au chien. Mais, sur l’enregistrement que je possède toujours, ça répond à ma question. 

LE BONNET DE GUYOTAT

Printemps1975. Guyotat est menacé de mort par le magazine d’extrême droite Minute pour avoir dénoncé le caractère raciste du meurtre à Marseille (21 mars) de son ami Laïd Moussa, instituteur algérien devenu ouvrier en France. Je le croise à Paris dans les locaux d’Art press. Il porte un étrange bonnet (passe-montagne roulé ?), énorme, formant bourrelet matelassé. On parle avec Catherine Millet, de la situation. Elle pose, un peu moqueuse, la question du bonnet. C’est pour parer, répond Guyotat, l’œil grave, aux possibles coups de matraque.